Jessé porte son slip de bain sombre et ses tongs avec classe. En cette après-midi ensoleillée, ce sont ses seuls vêtements. Sans compter son collier orné d’une tête de dragon. L’homme secoue ses cheveux argentés en se marrant. Il rigole tout le temps, Jessé. Mais, alors qu’il est accoudé au comptoir d’un des innombrables bars-restaurants de l’avenida Atlantica, au bord de la plage de Copacabana, son sourire trahit pour la première fois une pointe d’embarras face à la question posée. Comment définir ce foutoir magique, ce charme bordélique qui agite Rio de Janeiro ? Jessé se gratte son bouc. Puis tente une réponse : « Le surnom de la ville, Cidade maravilhosa, déjà ça te donne une idée, commence-t-il dans un français hésitant. Il faut savoir vivre, à Rio. »

Qu’est-ce à dire ? Grosso modo, profiter de l’ambiance, souvent festive, tout en restant sur ses gardes. « Tu sais, il y a plein de petits malins. Ils sont gentils, ils te sourient et après tu te retrouves sans rien, dépouillé. La plupart des gens sont sympas, mais il y a les petits malins, alors il faut rester en alerte. Il ne faut pas croire à tous les sourires. » Et Jessé de s’esclaffer à nouveau.

Voilà Jessé. Les amateurs de futebol y verront une version brésilienne de Joël Bats. | YB

Cet « artiste peintre » de 56 ans a ses astuces. Afin d’éviter de se faire voler par des « petits malins », il a opté pour son collier fascinant. « Les gens voient le collier et cela fait oublier que j’ai une bague en or au doigt, dit-il en montrant sa main droite. Ce dragon, personne ne va me le prendre. Il y a des gens qui se signent en le voyant, d’autres qui viennent m’embrasser. Mais ce n’est pas religieux. Et ce n’est pas non plus de la magie noire. »

Ses propos ont beau être un brin confus, il est possible que Jessé, entre deux gorgées de bière, ait trouvé la meilleure définition de Rio : une terre de contradictions où il faut « savoir vivre ». Un décor de carte postale, où il vaut mieux rester prudent. Une des villes les plus métissées du monde, avec pourtant une « hiérarchie ethnique » qui saute aux yeux du premier visiteur.

L’esthétisme prime sur la compétition

A Copacabana, ces contrastes sont éclatants. L’endroit, avec ses 4 kilomètres de plage, est souvent présenté comme le temple de l’exercice physique. Venu pour voir les sportifs cariocas du dimanche, l’envoyé spécial de « Rio ne répond plus » a donc d’abord constaté qu’on s’y rendait avant tout pour faire bronzer une bedaine ou une paire de fesses, rebondies ou pas. Et pour siroter un verre. A Copacabana, qu’il soit ferme ou flasque, le corps est exposé à la vue de tous. Dans cette mosaïque de peaux bronzées, l’essentiel est de s’exhiber, aurait dit le baron s’il était né pas trop loin de Leblon.

Sur une partie de la plage moins inclinée, derrière les rangées de parasols, s’étalent des terrains de sport à perte de vue. Il y en a pour tous les goûts : beach-tennis, beach-soccer, foot-volley… Et bien sûr, du beach-volley aussi, seul sport olympique - depuis 1996 - de la liste. Le Brésil y brille : déjà 11 médailles récoltées en même pas 20 ans, hommes (5 podiums) et femmes (6) confondus.

Pas loin du Rio Othon Palace, des joueurs multiplient les échanges, raquettes à la main. Pas de filets entre eux. Marcelo Dreux, 56 ans, le torse poilu et inondé de sueur, explique le concept du frescobol, un jeu brésilien populaire. « Il n’y a pas de points. On joue à deux et on est des partenaires, pas des adversaires. Le but est de faire le plus d’échanges possibles, en variant : coups droits, revers, smash. On peut parfois s’échanger la balle 100 fois en une minute. L’objectif, c’est qu’elle ne tombe pas et de se l’échanger le plus vite possible. » Un jeu où l’esthétisme prime sur la compétition.

Marcelo, Elmo, Fernando (de gauche à droite), et leurs raquettes. | YB

Marcelo tape la balle depuis des années, « parfois pendant deux-trois heures d’affilée ». Alors il connaît son sport par cœur, et livre quelques explications étymologiques. « Fresco, en brésilien, ça veut dire gay. Mais attention, ce n’est pas de là que vient le nom frescobol. On utilise le terme fresco parce qu’on choisit souvent le coin le plus frais de la plage pour y jouer. Et puis tu rajoutes bol, pour la balle. » Une fraîcheur toute relative : « Là il fait 26 degrés, c’est l’hiver. Mais en été, à 40 degrés, c’est plus compliqué. »

Le frescobol entretient bien la forme, à voir « Elmo », un pote de Marcelo. A 67 ans, Elmo affiche des pectoraux saillants et un physique de déménageur. « On l’appelle le dinosaure, raconte Marcelo. Il jouait déjà ici dans les années 1950, je t’assure. Il a été l’un des premiers à jouer ici, à Copacabana. »

Marcelo et ses amis ont monté une « sorte de club » de frescobol, l’un des plus grands de la ville. « On est une centaine de personnes, on paie dix reais [à peine 3 euros] par mois pour le terrain et pour la douche. » Pendant les pauses, ils boivent de l’eau, ou des boissons à base d’açaï, ces fruits de palmiers.

« Ce sport vient d’Italie, je crois »

Quelques centaines de mètres plus loin, des joueurs de beach-tennis disputent une partie. Là, les points sont comptés. Au bord du terrain, Marcia Vintana, une quinquagénaire plutôt fringante, explique que le beach-tennis n’a rien de vraiment local : « C’est très à la mode, mais ce sport vient d’Italie, je crois. » Marcia a commencé à pratiquer depuis cinq mois et elle le concède, les débuts ne sont pas évidents : « Nous avons l’habitude de courir dans le sable, ce n’est pas ça mon problème. Mais je n’ai pas assez de force dans les bras. »

Diego, la trentaine barbue, et physiothérapeute de profession, préfère le foot-volley, sorte de beach-volley où l’on peut utiliser toutes les parties du corps sauf les bras et les mains (une vidéo, cadeau). « Le plus difficile c’est d’avoir un contrôle avec les petites surfaces du corps, comme le pied, observe-t-il. C’est plus facile avec la poitrine, où la surface de contrôle est plus importante. » Puis Diego interrompt la conversation : il a encore un patient à aller voir, avant de clore sa journée.

Loin de ces considérations, Jessé recommande une bière. Le sport ? Très peu pour lui. « J’ai 56 ans, je n’en fais plus. » Et de trinquer à notre santé, en français toujours : « Aux enfants de la patrie ! »

  • Et sinon, les Jeux, ils en pensent quoi, du côté de Copacabana ?

Les sondages sont formels : les Brésiliens seraient hostiles aux Jeux. Selon une étude publiée dans le journal Folha de Sao Paulo, 50 % d’entre eux désapprouvent la tenue des Jeux et 63 % pensent qu’ils auront plus d’effets négatifs que positifs. Mais selon une étude de terrain au doigt mouillé de « Rio ne répond plus », la situation est plus nuancée à Copacabana, pratique sportive oblige. « Les Jeux, on adore ça, assure Marcelo Dreux, même s’il y a des problèmes de circulation. » La rigueur nous pousse à préciser que la fille de Marcelo travaille depuis deux ans pour le comité d’organisation de Rio 2016.

« Dans un premier temps, je n’aimais pas l’idée de Jeux à Rio, explique Marcia Vintana. Nous sommes en crise, pas seulement Rio, mais le Brésil. C’était le pire moment pour accueillir les Jeux. Mais puisqu’on a les Jeux, il faut en profiter. Je pense qu’on va s’amuser, même si j’aurais préféré qu’on ne les organise pas. » Et si c’était ça, le pragmatisme carioca ?

Sur l’avenida Atlantica, quelques milliers de manifestants, rassemblés vendredi autour de pancartes « Fora Temer », ne sont pas d’accord. Mais plus que contre les Jeux, ils sont venus protester contre le président Michel Temer et son « coup d’Etat ».

Un programme olympique assez clair. | YB

« Sunshine » - elle préfère qu’on l’appelle ainsi -, une jeune manifestante d’une trentaine d’années, résume l’état d’esprit du rassemblement : « Nous avons élu Dilma [Rousseff] comme présidente et nous avons subi un coup d’Etat du vice-président. Ce qu’il s’est passé n’est pas démocratique. Pendant longtemps, la classe supérieure avait beaucoup d’argent et les autres non. Dilma et Lula ont fait beaucoup pour les plus pauvres. Là, le gouvernement coupe tous les budgets. Ils disent que c’est à cause de la crise, mais cette crise est en grande partie créée par les médias officiels. » Et les Jeux, dans tout ça ? « A quoi ça va servir ?, s’interroge Sunshine. Ça me déprime un peu. »

A part ça, sur la plage de Copacabana, nous avons aussi croisé :

- des vendeurs ambulants, suant plus que n’importe quel autre sportif.

Il y a là de quoi habiller toutes les baigneuses de Copacabana. | YB

- deux verrues visuelles. La première, bleue et d’une vingtaine de mètres de haut, héberge des télévisions internationales (ESPN, BBC, NBC, Telemundo…). La deuxième, blanche, est le « Megastore » de Rio 2016.

- la beach-volley Arena et ses 12 000 places, où les parties risquent d’être un peu plus regardées que sur le reste de la plage.

La beach volley Arena, le 6 août, à Copacabana. | YASUYOSHI CHIBA / AFP

- des Indiens avec leurs flûtes de paon et leurs CD à vendre. On jurerait les avoir déjà croisés à la braderie de Lille (Requiescat in pace).

- des témoins de Jéhovah, qui comme les joueurs de frescobol, évoluent toujours par équipe de deux. On jurerait les avoir déjà croisés autour des stades de l’Euro 2016.

- Ernandez, un « kiné » qui propose des massages à 35 reais (ou 9 euros) le quart d’heure. Mine de rien, à Copacabana, il y a des tables de massage à peu près tous les 200 mètres.

- Des adeptes de la musculation en train de gonfler leurs biceps devant les promeneurs de l’avenida Atlantica. Mine de rien, à Copacabana, il y a des stands de muscu à peu près tous les 200 mètres.

No pain, no gain, version carioca. | YB

- Des sculptures de sable assez folles. Mine de rien, à Copacabana, il y en a à peu près tous les 200 mètres. Difficile de les départager. A vous de juger.

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Et parce que la plage carioca est aussi un joyeux capharnaüm, une ode à la musicalité, où se mêlent les voix des chanteurs de bars, les cris des vendeurs et ceux des joueurs de frescobol, on ne pouvait vous laisser sans ce refrain mondialement connu. Até breve.