« Pour le coup, on parlera du cyclisme féminin. Mais pas pour les bonnes raisons. » Audrey Cordon est inquiète. L’une des deux Françaises alignées sur la course féminine de cyclisme sur route ce dimanche verrait, comme sa compatriote Pauline Ferrand-Prévot, d’un mauvais œil la victoire de la coureuse qui a dominé toute la saison, porte le maillot de championne du monde et a remporté l’argent il y a quatre ans à Londres : Elisabeth Armitstead.

Elizabeth Armitstead avait offert sa première médaille (d’argent) à la Grande-Bretagne aux JO de Londres | Matt Rourke / AP

La nouvelle reine du cyclisme féminin n’aurait pas dû participer à ces Jeux olympiques, l’agence antidopage britannique (UKAD) réclamant contre elle une suspension pouvant aller jusqu’à quatre ans pour avoir, en l’espace de 12 mois, fait trois infractions aux règles de localisation : elle a une fois mal rempli son formulaire de localisation et raté deux contrôles antidopage inopinés. Dans un premier cas, elle n’avait pas indiqué sa chambre d’hôtel et avait laissé son téléphone portable en silencieux, de sorte que le contrôleur antidopage n’a pu la joindre ; dans le deuxième, elle n’était pas à l’endroit indiqué en raison, selon elle, d’un problème familial et elle n’avait pas signalé son changement de localisation.

Sous le coup d’une suspension provisoire, elle a raté fin juillet « La Course by Le Tour » sur les Champs-Elysées, l’une des grandes courses du calendrier, au prétexte qu’elle souhaitait se préserver pour les Jeux olympiques. En réalité, elle était suspendue.

Manque de transparence

En catimini, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a invalidé le premier de ses trois contrôles. Armitstead a, pour se défendre, bénéficié des conseils de sa propre fédération, la puissante British Cycling. L’Union cycliste internationale (UCI) est restée spectatrice et ni la fédération, ni le TAS, ni UKAD n’ont communiqué : sans les révélations du Daily Mail en début de semaine, personne n’aurait jamais su que la championne du monde était suspendue pour une infraction présumée au réglement antidopage.

Le système de localisation imposée à la plupart des sportifs, et notamment aux cyclistes, est particulièrement contraignant, mais rares sont désormais ceux qui ne le maîtrisent pas. Tous le disent : cela fait désormais partie de leur métier. En France, les suspensions du routier Yoann Offredo et du pistard Grégory Baugé - qui y a aussi perdu un titre de champion du monde - ont vacciné tout le monde. Dans un registre différent, l’ancien coureur danois Michael Rasmussen, qui mentait régulièrement sur sa localisation pour échapper aux contrôles inopinés, avait été écarté par sa propre équipe du Tour de France 2007 dont il était maillot jaune lorsque l’affaire s’était éventée.

Ferrand-Prévot : « Tout le monde est d’accord avec moi mais personne ne dit rien »

Que Lizzie Armitstead ait enregistré trois « no-show » en 12 mois ne manque pas de surprendre dans le monde du sport, y compris dans son propre pays. D’autant plus qu’elle est considérée comme particulièrement professionnelle et organisée, et que les conditions de localisation ont été considérablement facilitées ces dernières années. « En 14 ans de carrière, je n’ai raté qu’un seul contrôle inopiné », a écrit sur son site sa compatriote Nicole Cooke, championne olympique en 2008, demandant que « les règles soient les mêmes pour tous ».

Pauline Ferrand-Prévot ne dit pas autre chose. Mais elle est la seule cycliste de haute niveau à s’être exprimée, par le biais d’un tweet : « Juste honteux... »

Priée d’élaborer, sur une chaise haute du Club France devant une poignée de journalistes, la championne du monde 2014 ne s’est pas démontée :

« Ce qui est honteux, c’est le jugement qui a été rendu (par le TAS). Je n’ai jamais dit qu’Armitstead avait pris quelque chose. Simplement, il y a des règles et elles doivent être les mêmes pour tout le monde, sinon on ne fait plus de contrôles. J’ai encore été contrôlé trois fois en une semaine. A ce moment-là, je les refuse, mon sport part en vrille et chacun fait ce qu’il veut. (...)
De toute façon, tout le monde (dans le peloton) est d’accord avec moi mais personne ne dit rien. Que sa fédération lui paye des avocats et tout (British Cycling lui a apporté un soutien juridique mais Armitstead a payé elle-même sa défense devant le TAS, ndlr, mais on est où là ?  »

Cordon : « Ca ferait un tollé »

On est aux JO, et Armitstead aussi, ce qui pourrait poser quelque problème en cas de victoire de la Britannique. « Si j’étais elle, je serais un peu mal a l’aise d’être championne olympque dimanche, confie Audrey Cordon au Monde. Mais c’est quelqu’un de très professionnel, très concentrée, très froide. Je pense qu’elle va garder la tête froide et que si elle peut être championne olympique, elle n’hésitera pas. Et ça ferait un tollé. »

L’intéressée confirme, dans la seule interview qu’elle ait accordé depuis son arrivée à Rio, à la chaîne anglaise Sky Sports : « Je ne sais plus du tout où j’en suis. Mais quand je serai sur mon vélo avec un dossard, mon instinct de coureuse reviendra et je donnerai tout. Durant le restant de ma vie, les gens se poseront des questions sur mes performances. Mais je suis une athlète propre, j’ai travaillé dur, et je fêterais cette médaille avec mes amis, ma famille et ceux qui ont confiance en moi, me connaissent et m’aiment. »

Lizzie Armitstead Speaks For First Time After Missed Tests
Durée : 06:38
Images : La seule interview accordée par Elizabeth Armitstead depuis son arrivée à Rio (en anglais)

Sans l’accuser de dopage, les deux Françaises s’accordent néanmoins pour dire qu’aucun sportif de haut niveau ne peut accumuler trois infractions au règlement antidopage en un an sans que cela pose question. Ferrand-Prévot : « Quand tu as trois “no-show”, c’est qu’il y a un problème. » Soit un sens désastreux de l’organisation, soit un sens aigü de la dissimulation.