Des membres des Forces démocratiques syriennes, dans un char stationné près de Manbij, dans le nord de la Syrie, le 25 juin. | RODI SAID / REUTERS

La victoire finale n’a pas encore été annoncée, mais les Forces démocratiques syriennes (FDS) sont parvenues, samedi 6 août, à prendre le contrôle de la très grande majorité de la ville de Manbij au terme de nouvelles avancées contre les positions de l’organisation Etat islamique (EI). Après un siège de près de deux mois, les combattants kurdes et leurs alliés arabes locaux affrontent les dernières poches de résistances subsistant encore dans le centre de cette ville du nord de la Syrie.

Ancien bastion djihadiste situé à proximité de la frontière turque, Manbij était encerclée depuis le 10 juin par les FDS, une force à dominante kurde. Leurs unités ont depuis avancé progressivement vers l’intérieur de l’agglomération avec le soutien constant de la coalition internationale contre l’EI, emmenée par Washington.

Les FDS en constituent l’allié exclusif dans le nord syrien. Epaulés au sol par des éléments des forces spéciales, elles ont été appuyées par des frappes aériennes régulières visant les capacités de défense et de contre-attaque de leurs ennemis.

Ambitions territoriales kurdes

Pour les Kurdes, la bataille de Manbij est d’une importance centrale. La prise de la ville intègre une campagne militaire de long terme visant à opérer une jonction entre le territoire actuellement contrôlé par les FDS dans le nord de la Syrie et l’enclave kurde d’Afrin, dans le nord-ouest.

Pour la coalition, l’enjeu est d’interdire à l’EI l’accès à la frontière turco-syrienne, préalable nécessaire à une éventuelle opération contre Raqqa. Du point de vue des Kurdes cependant, cela se traduirait par la réalisation d’ambitions territoriales formulées de longue date.

Malgré leur avantage évident, les FDS, ont progressé plus lentement à Manbij que dans les autres localités du nord syrien, dont elles ont déjà délogé l’EI au cours de l’année passée.

Après les avancées rapides dans les villages de l’arrière-pays de Manbij, les djihadistes se sont retranchés dans la ville, entravant la progression des assaillants au moyen des engins explosifs improvisés laissés sur leur passage et en plaçant des tireurs d’élite aux points les plus élevés.

Depuis les toutes premières opérations déclenchées le 31 mai, l’observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) estimait samedi le bilan des pertes à 269 du côté des FDS et à plus de 900 du côté de l’organisation djihadiste.

Situation de siège, affrontements de rues

Des familles syriennes fuyant les combats entre les Forces démocratiques syriennes appuyées par la coalition internationale et l’organisation Etat islamique, à Manbij, dans le nord de la Syrie, le 4 juin. | DELIL SOULEIMAN / AFP

Manbij comptait 100 000 habitants avant le début du conflit syrien. Plusieurs milliers demeuraient encore dans la ville au plus fort des combats, pris au piège entre les belligérants.

La situation de siège, les affrontements de rues mais aussi et pour une large part, les frappes mal guidées opérées par l’aviation de la coalition internationale sont responsables de pertes civiles estimées plus importantes que dans les autres batailles menées par la coalition et ses alliés contre l’EI, que ce soit en Syrie ou en Irak.

Les derniers chiffres publiés par l’OSDH font état de plus de 400 victimes civiles dont près de la moitié aurait été tuée par des bombardements coalisés.

La bataille pour Manbij a de fait été le théâtre du raid aérien de la coalition internationale le plus meurtrier pour les populations depuis sa création il y a deux ans. Survenu le 19 juillet en marge d’affrontements entre combattants kurdes et djihadistes dans le village de Toukhar, dans le nord, il aurait fait 56 victimes civiles selon d’OSDH. D’après d’autres estimations de sources locales citées par Le Monde le 2 août, le bilan s’élèverait pour ce seul incident à 212 morts.

Risques de nouvelles tensions

Pour les habitants de Manbij, ceux qui ont pu fuir la ville à temps comme ceux qui ont survécu en ses murs au cours deux mois de siège et de combats, la fin prochaine des affrontements en cas de victoire des FDS ne sera pas synonyme d’un retour immédiat à la paix.

La ville reste infestée de charges explosives que les djihadistes en déroute laissent systématiquement derrière eux. De nombreuses habitations ont été détruites, des infrastructures majeures ont été rendues inutilisables par les combats ainsi que par les frappes aériennes de la coalition. Sur les ruines de la ville, se profile également le risque de nouvelles tensions.

Depuis plus d’un an, les forces kurdes ne cessent d’avancer dans des territoires majoritairement arabes et Manbij est la plus grande ville non-kurde qu’ils soient en situation de contrôler.

L’issue favorable de cette bataille devait sanctionner le succès de l’intégration en leur sein de nombreux combattants arabes récemment recrutés, mais aussi la capacité des Kurdes à associer les populations locales à la gouvernance des territoires qu’ils contrôlent. Accusés d’œuvrer à la domination des Kurdes sur le nord du pays ou d’entretenir des aspirations séparatistes, les FDS doivent faire leurs preuves.

Le modèle institutionnel promu par l’encadrement kurde syrien est inspiré par l’idéologie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un mouvement politique et militaire régional qui opère entre Iran, Irak, Turquie et Syrie et dont les FDS ne sont qu’une émanation.

La volonté de ses membres de le mettre en place uniformément a déjà produit des frictions importantes dans les zones majoritairement arabes que les Kurdes syriens dominent.

A Manbij, l’importance des pertes civiles au cours de la bataille qui s’achève pourrait avoir déjà altéré au sein des populations concernées la légitimité des Kurdes. Aussi, malgré la proximité d’une victoire militaire déjà acquise, les défis politiques posés par Manbij ne font que commencer.