SpotSexto PORK OFICIAL exhibition
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Le plus célèbre et le plus contestataire des graffeurs cubains, Danilo Maldonado Machado, dit « El Sexto », 32 ans, expose actuellement, et pour la première fois, aux Etats-Unis, dans une galerie de Miami, en Floride. Loin des rues de La Havane, loin du cœur de son action ? Au contraire : le nom de son exposition, « Pork », comme l’installation phare de l’événement, se présentent comme des manifestes de son travail, centré sur la réalité du régime castriste.

Les deux font en effet référence à une performance intitulée « La Ferme des animaux » que l’artiste avait tenté d’organiser dans la capitale cubaine le jour de Noël 2014. Clin d’œil à la fable de George Orwell, où l’écrivain avait offert une vision satirique du stalinisme en racontant la prise de pouvoir de cochons dans une ferme, El Sexto avait projeté de lâcher dans un parc du centre-ville deux cochonnets arborant à même la peau les prénoms des frères Castro : Fidel et Raúl. Avec à la clé l’occasion de manger de la viande pour ceux qui les attraperaient. Il avait été arrêté en chemin dans son taxi, les deux animaux dans le coffre, et incarcéré sans jugement pour « insulte » aux leaders de la révolution.

Dix mois de prison

Il ne s’agissait pas de la première arrestation du graffeur, très actif dans les rues de La Havane depuis 2008. Mais cette fois, il allait passer dix mois derrière les barreaux, ne ressortant qu’en octobre 2015 après une campagne d’Amnesty International en faveur de ce « prisonnier d’opinion ».

Entre-temps, de nombreuses actions de soutien et de solidarité tant à Cuba qu’à l’international avaient été menées. En avril, alors qu’il se trouvait en prison, l’artiste recevait ainsi le prix Vaclav Havel « pour la dissidence créative », décerné par la Human Rights Foundation, tandis que Barack Obama évoquait son cas avec Raúl Castro au Sommet des Amériques.

Le 25 février, lors de la soirée de vernissage de son exposition, où sont présentées une soixantaine d’œuvres – des peintures, ainsi qu’une série de dessins réalisés au cours de son incarcération –, l’agitateur n’a pas failli à sa réputation d’insolence face au régime. Il a ainsi donné une conférence de presse depuis l’enclos aménagé dans la galerie pour son duo de cochons.

Musique punk et tatouage live

Un concert du groupe punk-rock cubain Porno Para Ricardo était également au programme du happening, comme la projection de La Vie de Juanita Castro, film réalisé par Andy Warhol en 1965 dans un contexte de répression violente de l’homosexualité à Cuba, et dans lequel certains personnages masculins, dont les frères Castro et Che Guevara, sont joués par des femmes. Enfin, El Sexto s’est fait tatouer dans le dos en public un texte évoquant « 57 ans de violences et d’assassinats à Cuba », avec pour conclusion : « Les responsables sont encore libres. »

Pour l’artiste, le tatouage est devenu un moyen de s’exprimer hors des murs et de façon plus pérenne. Cette démarche fait suite au geste de la police cubaine, qui lui avait arraché un tee-shirt sur lequel il avait dessiné le portrait de Laura Pollán – leader du mouvement d’opposition « Dames en blanc », qui regroupe des épouses de dissidents emprisonnés –, décédée de façon jugée suspecte en 2011. Désormais encrée sur sa peau, l’image y côtoie notamment une autre figure de la lutte pour une plus grande liberté personnelle, politique, et économique à Cuba : Oswaldo Payá, lui aussi disparu dans des circonstances étranges en 2012.

Espace public sous surveillance

Malgré l’assouplissement récent du régime, l’espace public reste un domaine extrêmement sensible à Cuba. La performeuse activiste Tania Bruguera avait ainsi été arrêtée seulement cinq jours après El Sexto, le 30 décembre 2014, soit deux semaines après l’annonce historique d’une normalisation à venir des relations entre les Etats-Unis et Cuba. Cette artiste à la carrière internationale projetait d’installer une tribune avec micro sur l’emblématique place de la Révolution pour permettre aux passants de s’exprimer librement pendant une minute.

Pour empêcher cette performance dans la rue, les forces de l’ordre avaient procédé à de nombreuses arrestations préventives de dissidents ce jour-là. L’artiste a ensuite été placée en liberté surveillée pendant plus de six mois avant de pouvoir récupérer son passeport à l’été 2015.

Côté graffitis, à Cuba « le problème n’est pas tant de peindre dans la rue que l’aspect politique du propos », explique Yulier, 26 ans, dont les peintures humanistes sont visibles à travers toute La Havane. « Pour les autorités, les choses sont simples : ou bien les œuvres sont contre la révolution ou bien c’est de l’art », résume l’artiste urbain, qui travaille toujours en plein jour et signe chacune de ses réalisations.

Lâchers de porcs en prévision

Ses personnages minimalistes aux grands yeux mélancoliques « reflètent la réalité de la vie des gens qui les entourent, les conditions matérielles », explique l’artiste, qui conçoit ses fresques comme des chroniques de la société cubaine plus suggestives qu’ouvertement dénonciatrices. En trois ans, il assure n’avoir jamais eu de problème, malgré des images souvent ironiques, tels ses personnages de lapins souriants, en uniformes, qui moquent la posture officielle des militaires cubains.

De son côté, El Sexto – dont le nom même raille le pouvoir castriste, « le sixième » faisant référence à une campagne de propagande faite sur les murs du pays pour glorifier cinq « héros » Cubains arrêtés aux Etats-Unis en 1998 pour espionnage et tous libérés en 2014 –, a déjà annoncé son intention de retourner à Cuba continuer son combat pour le changement… et reproduire chaque Noël son lâcher de porcs.

« Pork » à la Market Gallery, 1420 Alton Road, Miami Beach, tous les jours de midi à minuit jusqu’au 16 mars.