Adeline Hazan, le 8 janvier 2014, alors maire de Reims en campagne pour un deuxième mandat. Elle a été nommée peu après contrôleure générale des lieux de privation de liberté. | FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

En visite à la maison d’arrêt de Nîmes, lundi, le premier ministre, Manuel Valls, a annoncé que le gouvernement présentera à l’automne un plan pour le parc pénitentiaire français, en situation de surpopulation carcérale depuis plusieurs années. En juillet, les prisons françaises comptaient 69 375 détenus pour une capacité de 58 311 places. Un record qui n’avait pas été atteint depuis avril 2014.

Ancienne élue socialiste et juge d’application des peines, Adeline Hazan a été nommée en 2014 contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Elle défend la mise en place d’un numerus clausus dans les prisons afin de répondre à la surpopulation carcérale. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà été saisie pour des cas de surpopulation ou encore de « traitement dégradant » dans des prisons françaises. Plusieurs instances sont en cours.

Qu’est-ce que le Contrôleur général des lieux de privations de liberté ?

Créée en 2008, cette autorité administrative indépendante a pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux dans les « lieux de privation de liberté » (établissements pénitentiaires ou de santé placés sous l’autorité du ministère de la santé et du ministère de la justice, locaux de garde à vue, de rétention douanière, centres éducatifs fermés, etc.).

Comment décririez-vous la situation dans les prisons françaises aujourd’hui ?

Nous avons atteint un pic insupportable. Il y a 11 000 détenus de trop, auxquels il faut ajouter 1 600 personnes dormant sur des matelas à même le sol. Certaines choses ne sont pas tolérables en France, pays des droits de l’homme. La prison de Nîmes [où se rendait le premier ministre, Manuel Valls, lundi, et qui accueille à l’heure actuelle 406 détenus pour une capacité de 192 places] est emblématique mais l’on retrouve la même situation dans de nombreuses maisons d’arrêt. Dans la région parisienne par exemple, celles de Fresnes ou de Fleury enregistrent des taux d’occupation de 200 %. L’ensemble des maisons d’arrêt ont un taux d’occupation de plus de 100 %.

La loi pénitentiaire de novembre 2009 stipule que les détenus ont droit à une cellule individuelle. Mais ce n’est pas fait, parce que cela coûterait plus cher et qu’il y a un problème de moyens. Il faudrait augmenter de façon conséquente le budget de la justice ; s’il faut souligner qu’il n’a pas baissé ces dernières années, il n’est pas du tout à un seuil suffisant.

Quelles sont les conséquences de cette surpopulation carcérale ?

Que ce soit pour la société ou pour l’individu incarcéré, elle a des conséquences catastrophiques. L’administration pénitentiaire ne dispose pas d’assez de moyens pour préparer des projets de réinsertion. En outre, la forte proximité crée de la violence et des tensions entre les codétenus, mais aussi entre détenus et surveillants.

Aujourd’hui, les droits fondamentaux des détenus ne sont pas respectés, comme le droit aux liens familiaux ou le droit à la santé, puisqu’il n’y a pas assez de médecins pour voir tout le monde. Les prisons françaises sont des cocottes-minute, il pourrait se passer n’importe quoi.

La surpopulation carcérale n’est pas un phénomène nouveau, mais le rythme de croissance annuel s’est accéléré en 2016. Comment l’expliquer ?

Le contexte sécuritaire des dix-huit derniers mois, marqués par les attentats qui ont frappé le pays, imprègne la mentalité des magistrats qui font preuve de frilosité et n’osent pas prendre des décisions d’aménagement de peine. Mais la loi devrait pouvoir s’appliquer quel que soit le contexte.

Par ailleurs, les pouvoirs publics n’ont pas de réflexion sur les courtes peines, en cas de première incarcération. Quand on condamne pour deux ou trois mois une personne, on lui fait perdre son travail, on le coupe de sa famille, voire on lui fait perdre son logement. Mais en trois mois, on ne peut pas préparer un projet de réinsertion, faute de temps. Il faut se poser la question du sens de ces courtes peines. Elles présentent beaucoup d’inconvénients et pas d’avantage. Les infractions routières par exemple pourraient ne plus être sanctionnées d’emprisonnement, mais plutôt de travaux d’intérêt général. Cela aurait beaucoup plus de sens de faire travailler quelqu’un coupable d’infractions routières dans un hôpital accueillant des blessés de la route, plutôt que de lui faire perdre son travail.

Faudrait-il créer plus de places, en construisant de nouveaux établissements pénitentiaires ?

Plus on construit de places dans les prisons, plus elles se remplissent. Il faut créer un certain nombre de places, mais pas au niveau qu’on entend aujourd’hui dans la bouche de certaines personnalités politiques. L’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira, avait annoncé 6 000 places supplémentaires, c’est amplement suffisant.

La bonne solution face à la surpopulation carcérale c’est de développer des alternatives à l’incarcération, comme les contraintes pénales, ou des libérations sous contrainte. Dans la réforme pénale [portée par Christiane Taubira et entrée en vigueur en octobre 2014], il y a tout ce qu’il faut. Mais cette loi n’a pas produit d’effet, parce qu’il a fallu créer des postes de magistrats et d’éducateurs, qu’il a fallu ensuite former. Cela a pris trop de temps. Par ailleurs, les magistrats n’ont toujours pas intégré ces dispositions dans leurs décisions. C’est un changement de culture. Il faudrait en outre réaffirmer que la prison doit être envisagée comme une sanction de dernier recours.

Au micro de France Inter lundi, vous évoquiez également la mise en place d’un numerus clausus dans les prisons…

C’est quelque chose qui a déjà été proposé dans le passé, par exemple par le député Dominique Raimbourg (PS), qui est président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une régulation de la population carcérale qui obligerait les magistrats et le procureur à se mettre autour d’une table et refuser qu’un détenu dorme à même le sol. Ensemble, ils pourraient décider d’un aménagement de peine de façon à ce qu’on puisse libérer une place. Lorsque toutes les garanties sont là, on ne prend aucun risque à faire sortir quelqu’un huit à quinze jours avant la fin de sa peine. Le numerus clausus, c’est une question de courage politique.

Un courage qui fait défaut, selon vous, au gouvernement ?

D’autres pays ont réussi, après des condamnations de la CEDH, à baisser leur population carcérale. En France, les pouvoirs publics sont conscients du problème mais ils n’ont pas fait ce qu’il fallait. Aujourd’hui à Nîmes, il n’y a pas eu d’annonce. Un plan doit être présenté en septembre. Mais à part la création d’établissements supplémentaires, on ignore quelles seront les autres annonces.

Les différents gouvernements ont mesuré l’étendue des problèmes du système carcéral mais ils n’ont pas réussi à les prendre à bras-le-corps. L’opinion publique est d’accord pour des projets de rénovation. Mais quand il s’agit d’aménagement de peine, c’est beaucoup plus clivant. Il faut pourtant faire face à ce problème. En matière de surpopulation carcérale, la France est parmi les sept pays les plus mauvais sur 47 [114,5 détenus pour 100 places, contre une moyenne européenne de 91,7 %], selon le Conseil de l’Europe. C’est un problème d’une telle gravité qu’il mérite que l’on ait le courage de diviser l’opinion publique.