Discours du président turc Recep Tayyip Erdogan lors d’un rassemblement à Istanbul le 7 août. | KAYHAN OZER / AP

Editorial du « Monde ». Le président turc l’a martelé, dimanche 7 août à Istanbul, lors de l’immense rassemblement de ses partisans, en présence des chefs des deux principales forces d’opposition : « Si le peuple veut la peine de mort, les partis suivront sa volonté. » Trois semaines après l’échec du putsch militaire fomenté contre lui, Recep Tayyip Erdogan l’a confirmé sans détour dans l’entretien qu’il nous a accordé (Le Monde daté du 9 août) : « Si le Parlement décide de réinstaurer la peine capitale, nous ne nous soucierons pas de ce que pensent les autres, nous l’appliquerons. »

Recep Erdogan donne une interview au « Monde » trois semaines après le putsch raté en Turquie
Durée : 06:57
Images : Images : Laurent Van Der Stockt pour "Le Monde"

Toujours habile à épouser les humeurs de l’opinion, M. Erdogan n’hésite donc pas à attiser le désir de vengeance d’une majorité de ses concitoyens contre les militaires put­schistes. D’ailleurs, insiste-t-il dans nos colonnes, la peine de mort est toujours en vigueur « dans de nombreux pays », notamment dans plusieurs Etats des Etats-Unis, au Japon, en Arabie saoudite ou en Chine… Et d’ajouter, avec un sens aigu de la provocation : « C’est surtout en Europe qu’elle a été abolie. »

Le premier ministre lui-même, ­Binali Yildirim, comme les diplomates turcs ont beau tenter de calmer le jeu et soutenir que la décision appartient au Parlement, il reste que celui-ci est dominé par l’AKP, le parti islamo-conservateur de M. Erdogan. Le président turc aura donc le dernier mot.

Inquiétante surenchère

Ulcéré par les critiques des pays occidentaux sur les excès de la répression après le putsch manqué du 15 juillet, Recep Tayyip Erdogan s’engage ainsi dans une inquiétante surenchère. Car il sait parfaitement que le rétablissement de la peine capitale dans son pays signifierait le renoncement au vieux rêve européen de la Turquie.

Non seulement il se mettrait au ban du Conseil de l’Europe, qui réunit les vingt-huit membres de l’Union européenne, mais aussi la Russie, la Turquie, l’Ukraine, les pays du Caucase… et qui n’admet le maintien de la peine capitale par ses membres que « pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».Mais surtout, il briserait toute perspective de rapprochement avec l’Union européenne.

Depuis une vingtaine d’années, la question de la peine de mort a été un marqueur essentiel des relations entre l’UE et Ankara. Son abolition fut décidée par le gouvernement de Bülent Ecevit, le vieux leader de la gauche nationaliste, et votée au Parlement en août 2002. Entérinée deux ans plus tard par l’AKP, le parti de M. Erdogan, cette décision a permis le démarrage des négociations d’adhésion avec l’UE en 2005. Le rétablissement de la peine de mort signifierait la fin de ce processus – il est vrai chaotique, pour ne pas dire moribond. « Personne ne devient un membre de l’UE en réintroduisant la peine de mort », a rappelé la responsable de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.

M. Erdogan semble prêt à en faire son deuil. Pour que les choses soient claires, il dénonce le « manque de sincérité » des Européens à son endroit et menace de remettre en cause le très bancal accord sur les migrants négocié il y a quelques mois avec l’UE. En outre, sa réconciliation ostensible avec le président russe, Vladimir Poutine, qu’il rencontre mardi 9 août à Saint-Pétersbourg, ajoute au chantage.

Au-delà de la question de principe, non négociable, de la peine de mort, c’est un possible changement d’alliance géostratégique qui s’esquisse, périlleux pour tous les acteurs, au cœur de la poudrière proche-orientale.