Ibtihaj Muhammad, lundi 8 août, à Rio de Janeiro. | Andrew Medichini / AP

La nuée de journalistes patiente depuis presque une heure. L’interview de la sabreuse américaine Mariel Zagunis, double championne olympique défaite en huitièmes de finale, est expédiée au pas de course. Tout ce beau monde attend fébrilement l’une des stars inattendues de ces Jeux, sa compatriote Ibtihaj Muhammad, qui s’est, elle aussi, inclinée, dès son deuxième match à Rio.

A 30 ans, Ibtihaj Muhammad n’est pourtant pas la meilleure sabreuse du monde (numéro 8), ni même des Etats-Unis (numéro 2). Mais sous son casque au drapeau américain, la jeune femme porte un hijab. Lundi 8 août, elle est ainsi devenue la première sportive américaine voilée à concourir aux JO. « Ce moment est plus grand que moi. J’ai tant travaillé pour le vivre. Représenter mon pays et ma communauté, c’est tellement plus important que ma personne. Que peut-on demander de plus que de faire partie de l’équipe des Etats-Unis ? », explique-t-elle, la pression retombée.

A l’issue de sa défaite face à la Française Cécilia Berder, l’Américaine n’a pu retenir ses larmes. Au premier rang de la tribune, l’escrimeuse saoudienne Lubna Al-Omair, voilée elle aussi, lui adresse un signe de réconfort. Pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux, les quatre femmes de la modeste délégation saoudienne avaient toutes réclamé leur photo avec la sabreuse.

Le frère d’Ibtihaj, Qareeb, maillot de basket siglé « USA » sur le dos, saute sur la piste et l’étreint quelques instants. La famille Muhammad, dont les parents de l’escrimeuse, est venue en nombre de Los Angeles et du New Jersey. « Malgré l’adversité, elle fait face. En tant que musulmane, en tant qu’Afro-Américaine, en tant que femme, elle a toujours confiance en sa capacité à réussir. C’est mon héros », confie Qareeb, qui ne cherche pas à dissimuler son émotion.

Acte militant

Loin de se contenter d’être une sportive de haut niveau, Ibitihaj Muhammad n’hésite pas à prendre la parole dans le débat public. Un acte militant fort alors que les Etats-Unis sont entrés dans la dernière ligne droite d’une campagne présidentielle marquée par les propos méprisants de Donald Trump envers les musulmans. Après que le candidat républicain a attaqué la famille d’un soldat américain de confession musulmane mort au combat, Ibitihaj est encore montée aux créneaux. « Je pense que ses mots sont dangereux. Quand ce type de commentaires est tenu, personne ne réfléchit à la manière dont cela peut réellement toucher les gens », a-t-elle déclaré sur CNN.

Quelques jours avant la cérémonie d’ouverture, en réponse à la proposition du milliardaire d’interdire le territoire national aux musulmans, elle avait eu ses mots : « Je suis afro-américaine. Je n’ai pas d’autre maison. Ma famille est née ici. Je suis née ici. Nous avons grandi dans le New Jersey, j’ai grandi dans le New Jersey. Où irions-nous ? »

En février, le président Barak Obama l’a citée en exemple lors de son discours remarqué dans une mosquée de Baltimore.

Lundi, à l’issue de sa compétition individuelle, les yeux brillants soulignés par un maquillage noir, la sportive a profité des micros pour faire passer un message de tolérance. « Je suis excitée à l’idée de combattre les stéréotypes et les préjugés que les gens ont sur les femmes musulmanes. Je ne veux pas seulement montrer que nous pouvons faire partie de n’importe quelle équipe olympique mais aussi de celle des Etats-Unis qui est l’une des plus fortes au monde ».

Interrogée par Le Monde sur cet engagement politique peu fréquent, la prudente Mariel Zagunis bottait en touche, saluant toutefois les bienfaits pour l’image de l’escrime des projecteurs braqués sur sa coéquipière. Sans avoir peur de déplaire à ceux qui prétendent que l’on ne doit pas mélanger le sport et la politique, Ibtihaj Muhammad s’est, elle, livrée sans crainte dans l’enceinte de l’Arena Carioca 3 : « Je veux dire qu’il y a des musulmans conservateurs et d’autres plus libéraux. Qu’il y a des femmes qui se couvrent les cheveux et d’autres non. Il y a des Afro-Américains musulmans, des Blancs musulmans, des Arabes musulmans, il y a tellement de différents types. »

Marque de vêtements

Pour Sally Jenkins, journaliste sportive au Washington Post, Ibtihaj Muhammad est « une voix intelligente qui assume de faire passer ses idées grâce à sa médiatisation ». Au point qu’en février, le président Barak Obama l’a citée en exemple lors de son discours remarqué dans une mosquée de Baltimore. En avril, l’escrimeuse a même été classée parmi les cent personnes les plus influentes du monde par le magazine Time. Le même mois, pour marquer les cent jours avant les Jeux, c’est la première dame Michelle Obama qui s’est vue accorder une rapide leçon d’escrime en plein Times Square.

C’est à l’âge de 13 ans que la jeune fille a débuté l’escrime, heureuse de pouvoir trouver un sport où elle peut « être couverte sans se sentir différente ». Professeure remplaçante dans un collège, l’athlète possède également sa propre marque de vêtements – « modestes » –, Louella, dont elle dessine les modèles. Diplômée, de l’université Duke, en relations internationales et en études afro-américaines, elle n’avait que 18 ans en 2004 lorsque le sabre féminin, longtemps considéré trop violent par les sexistes, a été introduit aux Jeux.

Samedi 13 août, lors de la compétition par équipes, Ibtihaj Muhammad pourrait bien encore entrer dans l’histoire : en étant la première sportive américaine voilée à monter sur un podium olympique. Classée au quatrième rang mondial, l’équipe des Etats-Unis en possède l’ambition. « J’aime mon équipe, j’aime mes coéquipières. Je crois en elles. Je crois en moi. Je veux plus que tout que nous remportions une médaille. Je veux que nous le fassions pour notre pays. »