Le milieu de terrain de 23 ans retourne à Manchester United où il avait joué en équipe de jeunes. | VALERY HACHE / AFP

Cent vingt millions d’euros. Le montant estimé du transfert de Paul Pogba de la Juventus Turin à Manchester United donne le vertige. A 23 ans, le milieu de terrain français devient le joueur de football le plus cher de l’histoire. Il détrône de ce classement des stars dorées du ballon rond le Gallois Gareth Bale, qui l’occupait depuis 2013 et son passage de Totenham au Real Madrid pour 100 millions d’euros. Comment expliquer une telle inflation ?

Parce que Pogba est jeune, qu’il peut devenir (encore) meilleur, et donc être revendu (encore) plus cher.

Un râteau, une coupe de cheveux, une frappe de l’extérieur du pied en pleine lucarne, un dab, une roulette ; Paul Pogba a assez de talent et de confiance en lui pour exécuter tout ça. Le 28 avril, il est en « une » du magazine So Foot, qui titre : « Je veux devenir une légende ». Une ambition qu’il confirme dans un entretien au Monde juste avant l’Euro en France : « Quand je dis que je veux être une légende, ce n’est pas “je vais être” une légende. C’est mon rêve. Je vais bosser pour devenir une légende. » Arrogant Paul Pogba ? « Ce n’est pas arrogant. Quand moi je le dis, c’est de l’ambition. J’ai envie d’être le meilleur, de marquer, de gagner des titres, d’être au maximum. Ce sont des objectifs, des challenges. »

Si toutes ces belles déclarations semblent toutefois un peu présomptueuses, il suffit d’avoir vu évoluer La Pioche (son surnom) depuis quatre ans pour savoir qu’elles ne sont pas complètement sans fondements. A 23 ans, Paul Pogba est assurément l’un des joueurs les plus prometteurs de sa génération (meilleur jeune du Mondial 2014), en compagnie du génie italien du PSG, Marco Verratti. Le désormais ex-numéro 10 de la Juventus Turin (comme Platini avant lui) est un milieu de terrain qui pourrait effectivement tout faire. Son jeune âge et son talent justifient ainsi (en partie) son prix. Pogba sait défendre. Ses grandes jambes l’ont encore prouvé à l’Euro, même si sa compétition n’a pas été parfaite : Pogba a été le deuxième meilleur récupérateur des Bleus (36), derrière la montagne Koscielny (44).

Depuis son arrivée à la Juve en 2012, il a aussi beaucoup appris. A jouer au football dans un premier temps. Là encore, l’Euro fut une belle vitrine. Milieu relayeur droit, gauche puis associé à Matuidi dans un milieu à deux, Pogba a prouvé sa rigueur en s’adaptant aux changements tactiques de Didier Deschamps. Jeu long, passe courte, percussion, récupération, conservation, La Pioche a tout fait. Il a même marqué (le but du 2-0 contre l’Islande), et c’est lui qui est à l’origine du deuxième but de Griezmann contre l’Allemagne. Pogba a aussi appris à gagner. C’est simple, en quatre saisons passées à la Vieille Dame, il a raflé quatre titres de champion d’Italie, deux Coupes d’Italie et une Supercoupe d’Italie. Bonus, Paulo a également dû digérer une défaite en finale de la Ligue des champions face au FC Barcelone, en 2015. Après celle de l’Euro le 10 juillet dernier, Pogba se forge un mental.

Encore loin d’être une légende, Pogboom (un autre surnom) a tout de même commencé à écrire son histoire. A Manchester, il revient dans un club qu’il avait quitté libre de tout contrat en 2012, et qui a donc dû racheter ses trois dernières années de contrat à la Juve. A l’époque, Pogba avait refusé l’offre faite par la légende du club : Sir Alex Ferguson. Cette fois, il retrouve sur le banc un entraîneur qui le voulait déjà l’été dernier, lorsqu’il était à la tête de Chelsea. José Mourinho pourrait bien être la bonne personne pour tempérer les fantaisies du milieu de terrain. Car c’est un amoureux du beau que viennent d’acquérir les Red Devils. Pogba aime faire le spectacle. Il l’a montré sur les pelouses italiennes, où plusieurs de ses lourdes frappes ont trouvé la lucarne. Il le confirmait encore à So Foot il y a deux mois : « Jouer en deux touches, parfois, c’est plus dur que dribbler. » Si Mourinho parvient à façonner le milieu français, celui-ci pourrait atteindre son meilleur niveau dans deux ou trois ans. Les Diables Rouges pourraient alors espérer le revendre encore plus cher qu’ils ne l’ont acheté.

Paul Pogba ● Crazy Skills & Goals ● HD
Durée : 10:13

Parce que son agent s’appelle Mino Raiola

Ils sont deux à se partager le Ballon d’or des agents de joueur depuis plusieurs années. Jorge Mendes et Mino Raiola règnent quasiment sans partage sur les meilleurs joueurs de la planète. C’est d’eux que l’on parle le plus, ce sont eux qui génèrent le plus d’argent, et, bien évidemment, ce sont eux qui touchent le plus de commissions. Mino Raiola est l’agent de Balotelli, de Mkhitaryan, de Lukaku, de Hamsik, de Maxwell, de Van der Wiel, de Matuidi et d’Ibrahimovic, entre autres.

Rien qu’avec le géant suédois, l’Italo-Néerlandais a généré 145 millions d’euros d’indemnités de transferts pour un total de 15 millions d’euros de commissions personnelles. Cette année, Raiola a donc réussi à regrouper trois de ses joueurs à Manchester United (Pogba en plus de Mkhitaryan et Zlatan) pour un peu plus de 160 millions d’euros. Vendredi matin, L’Equipe affirmait que le dernier obstacle à la transaction était le paiement de la commission de Raiola (autour de vingt millions d’euros). Le club turinois désirerait toucher la totalité de l’indemnité de transfert et demanderait donc aux mancuniens et à l’agent de s’arranger entre eux. Jeudi, Guiseppe Marotta, l’administrateur délégué de la Juventus, affirmait à la télévision Sportitalia : « Il n’y a aucun contact avec Manchester United pour Pogba. » Il était rapidement suivi par l’agent de 48 ans, qui remettait simplement en cause l’existence d’accord concernant Pogba. « Beaucoup de bla bla bla », a-t-il tweeté.

Parce que les Anglais ont perdu la notion de l’argent

La Premier League est le championnat le plus spectaculaire. C’est ce qui se dit. Et même si ce n’est pas forcément vrai, les Anglais continuent de tout faire pour que cela soit le cas. A moins qu’ils ne se trompent de combat, mais c’est une autre histoire. Depuis 2013, les droits de retransmission de la Premier League explosent. Sur la période 2013-2016, ils ont augmenté de 77 % en passant de 801 millions d’euros par an à 1,358 milliard d’euros par an. Pour les trois prochaines saisons, ils ont encore augmenté, mais seulement de 70 % cette fois, pour s’établir à 2,3 milliards d’euros par an. Et ce n’est pas fini. Les clubs anglais devraient également se répartir 1 milliard d’euros supplémentaire issu des contrats avec les diffuseurs étrangers.

En France, pour diffuser la Premier League, Canal Plus était passé de 7 millions à 63 millions d’euros entre les périodes 2007-2010 et 2013-2016. En novembre 2015, c’est Altice qui a déboursé une centaine de millions d’euros pour pouvoir diffuser Arsenal, Manchester, Chelsea, Liverpool et les autres sur les écrans français. Désormais, le dernier de Premier League touchera 136 millions d’euros (deux fois plus que le champion de France), et le premier, 210 millions. Logiquement, tout cet argent permet aux clubs anglais d’être extrêmement attractifs. Et de s’offrir tous les joueurs qu’ils veulent, au détriment d’une certaine logique. Le meilleur exemple reste le transfert d’Eliaquim Mangala, passé du FC Porto à Manchester City moyennant la somme de 54 millions d’euros. A ce jour, le défenseur central français reste le défenseur le plus cher de l’histoire malgré des performances pour le moins relatives. L’été dernier, un autre Français avait affolé le marché des transferts. Du haut de ses 19 ans et après sa première saison pleine en Ligue 1, Anthony Martial était transféré de l’AS Monaco vers Manchester United pour 50 millions d’euros, auxquels peuvent s’ajouter 30 millions de bonus en fonction des performances du joueur.

Parce que les joueurs coûtent de plus en plus cher

Au-delà de l’Angleterre, tous les transferts sont aujourd’hui touchés par l’inflation. Dans le top 10 des plus grosses transactions de l’histoire du foot, cinq ont été réalisées par le Real Madrid ou le FC Barcelone. La Chine aussi commence à investir. Cet été, le Shanghai SIPG a dépensé 55 millions d’euros pour s’attacher les services du joueur brésilien du Zénith Saint-Pétersbourg, Hulk.

Peu importe le prix exorbitant de Paul Pogba, sa jeunesse et son potentiel pourraient permettre à Manchester United de le revendre encore plus cher dans quelques années. La Pioche pourrait donc se détrôner lui-même. En attendant que Griezmann soit transféré au FC Barcelone. Ou que Neymar ne rejoigne les rangs du Paris-Saint-Germain.

Parce que Pogba est un phénomène marketing

Des pas de danse avec « Tonton Pat’», des coiffures extravagantes, des dabs à tout bout de champ, Paul Pogba sait se mettre en scène et possède un potentiel marketing très élevé. Manchester United peut donc se permettre de dépenser beaucoup d’argent pour un joueur qui pourrait lui en rapporter énormément en retour. Le club mancunien devrait d’ailleurs obtenir une grande partie des droits à l’image du joueur et bénéficier ainsi d’un excellent retour sur investissement.

Paul Pogba et Patrice Evra dansent
Durée : 01:18