Après des mois d’accalmie, la situation se crispe à nouveau entre les Bantous et les Pygmées. « C’était une période très critique dont on venait de sortir. On a beaucoup travaillé pour le calme et ça recommence encore… Il faut prendre des mesures sinon la population risque d’être sacrifiée. C’est une situation d’urgence », explique, très préoccupé, François Luhunga, président de la société civile du territoire de Nyunzu, dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC).

Depuis fin 2013, des combats chroniques entre Bantous, majoritaires, et Pygmées, marginalisés et revendiquant plus d’égalité, ont fait plusieurs centaines de morts. Alors qu’une trentaine de suspects des deux camps sont jugés depuis août 2015 pour crimes de génocide présumés par la cour d’appel de Lubumbashi, bien plus au sud, des projets de réconciliation menés par les autorités, l’ONU et des ONG humanitaires ou religieuses ont permis d’apaiser les tensions.

Des violences qui ont déplacé 6 000 personnes

Mais autour du 10 juillet, des incidents ont éclaté. L’élément déclencheur reste flou. Parmi les thèses récurrentes : prenant au sérieux des allégations d’arrestation imminente de leur leader, des partisans de Nyumbaisha – principal chef milicien pygmée, considéré comme le plus réfractaire aux efforts de réconciliation – ont affronté des militaires. Une autre version indique que des soldats ont été dépêchés pour ôter des barrières illégales posées par des Pygmées, qui ont alors riposté.

Les heurts ont fait entre deux et quatre morts, selon les sources. Un cadre de la société civile présent avec son équipe dans la région lors des troubles raconte que des Pygmées « énervés », armés « avec des flèches » et portant des gris-gris les ont dépouillés avant de leur intimer d’aller voir le cadavre de victimes, selon eux toutes pygmées. « J’ai vu trois personnes mortes par balles, elles ont été fusillées. » Du côté de l’armée, un militaire aurait été blessé au cou.

Les violences ont fait au moins 6 000 déplacés, indique un rapport du Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) publié fin juillet. L’organisation précise que « l’extension des attaques des Pygmées sur d’autres villages du territoire de Nyunzu » s’est accompagnée de graves exactions : au moins deux centres de santé « pillés » et « des centaines de ménages ont vu leurs champs détruits, leurs maisons incendiées, leurs articles ménagers emportés… »

Renforcement militaire

Les déplacés n’ont jusqu’à présent reçu que peu ou aucune assistance, notamment à cause de l’instabilité. Et alors que des travailleurs humanitaires signalent une circulation inquiétante de milices pygmées, les autorités tentent de sensibiliser les villageois à retourner chez eux. Mais malgré le renforcement de la présence militaire et policière, la peur reste encore forte. Résultat, si de nombreux ménages sont rentrés, bien d’autres préfèrent retarder l’échéance.

Pour Rogatien Kitenge, militant bantou des droits des Pygmées, le conflit perdure suite à une négligence des problèmes de fond. Un avis que partage une autorité locale. « Aussi longtemps qu’on n’arrivera pas à répondre à certaines questions d’ordre anthropologique et socio-économique pour comprendre les motivations des uns et des autres, y compris des tireurs de ficelles, il n’y aura pas de solution vraiment durable », souligne-t-elle. Et de regretter que les analyses déjà disponibles ne soient « pas véritablement prises en compte ».