Le retraitement du combustible nucléaire usé est loin d’enthousiasmer les habitants de Lianyungang : des milliers de personnes sont descendues dans les rues de cette ville côtière de l’est de la Chine d’environ 800 000 d’habitants, ces trois derniers jours, pour protester contre toute tentative d’y implanter la première installation chinoise de recyclage de déchets, l’équivalent de la Hague en France. Ce projet au long cours, d’une capacité prévue de retraitement de 800 tonnes et dont le site final n’a pas encore été annoncé, est porté par le français Areva et son partenaire chinois China National Nuclear Corp (CNNC). Un centre d’entreposage d’une capacité de 3 000 tonnes doit le compléter.

« Nous aimons notre Lianyungang, pas de déchets nucléaires ! », « Protégeons les prochaines générations », pouvait-on lire sur des feuilles de papier brandies par des manifestants. Située dans la province du Jiangsu, au nord-est de Shanghaï, Lianyungang, l’équivalent d’une préfecture de département, est connue pour ses attractions touristiques, comme le mont Yuntai.

Lundi 8 août, plusieurs dizaines d’habitants ont entonné l’hymne chinois devant le siège du gouvernement local, gardé par des rangées de policiers antiémeute. La veille, les manifestations au centre-ville avaient pris un tour violent, selon les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Des témoins ont fait état de brutalités policières et une vidéo montre un agent pointant son arme en direction d’une manifestante. Les médias chinois n’ont quasiment pas mentionné les manifestations, en dehors du quotidien Global Times, qui a relayé, lundi, les assurances d’experts chinois sur la sûreté du cycle de retraitement du combustible usé et la nécessité, pour la Chine, de se doter de cette technologie.

Anxiété contagieuse

Le nucléaire a jusqu’alors été relativement épargné en Chine par la contestation populaire de type Nimby (pour not in my backyard, « pas de ça chez moi ! ») : des protestations ont eu lieu en 2012 contre le projet de la centrale de Pengze dans le Jiangxi, mais sans commune mesure avec les mobilisations géantes qu’ont engendrées les projets d’usines pétrochimiques de PX (paraxylène) ou d’incinérateurs de déchets dans de grandes villes chinoises. Or, depuis la levée, fin 2012, du moratoire sur l’approbation de nouvelles centrales nucléaires en Chine consécutif à la catastrophe de Fukushima l’année précédente, les chantiers se multiplient.

Selon la dernière estimation de la World Nuclear Energy en août, 20 réacteurs sont actuellement en construction, s’ajoutant aux 34 déjà installés. D’autres sont en cours d’étude. La Chine compte doubler ses capacités en matière de production d’électricité nucléaire (aujourd’hui, 3 % de sa production) d’ici à 2021. La ville préfecture de Lianyungang, qui est au cœur d’un bassin de 5 millions d’habitants, accueille déjà, à une trentaine de kilomètres du centre-ville, la centrale nucléaire de Tianwan, dotée de deux réacteurs à eau pressurisée de technologie russe. Les tranches 3 et 4 seront mises prochainement en ligne, la construction de la tranche 5 a commencé fin 2015, bientôt suivie par les tranches 6, puis 7 et 8 – ce qui en fera l’une des plus grosses centrales au monde.

« Protégeons les prochaines générations », « Nous aimons notre Lianyungang, pas de déchets nucléaires ! », pouvait-on lire sur des feuilles de papier brandies par des manifestants

Le projet d’une usine de retraitement de technologie française a donné lieu à plusieurs protocoles d’accords depuis la visite du président François Hollande en Chine en 2013. « Les discussions techniques sont finalisées. Nous en sommes à la phase de négociations commerciales », explique, de Paris, Aurélie Grange, porte-parole d’Areva. Le choix du lieu est l’affaire des Chinois, précise-t-elle. Selon la presse chinoise, six provinces sont pressenties pour accueillir la nouvelle usine, dont le Jiangsu. La construction pourrait commencer en 2020, si l’accord est signé. Rien ne permet de dire à ce stade ce qui a alerté les habitants de Lianyungang : le gouvernement local a pu discrètement faire acte de candidature.

Les projets industriels à risque, et désormais le nucléaire, génèrent une anxiété contagieuse en Chine qu’a amplifiée l’explosion d’un entrepôt chimique à Tianjin, il y a un an. La partialité et le musellement des médias, les soupçons de collusion entre pouvoirs publics et opérateurs, l’impuissance des agences de supervision confortent les citoyens dans l’idée que ceux qui les gouvernent leur mentent.

« Les protestations de type Nimby de plus en plus fréquentes »

Depuis le soulèvement des habitants de Xiamen contre l’installation d’une usine pétrochimique en 2007, les manifestations n’ont cessé de défrayer la chronique, de Ningbo à Kunming en passant par Canton : « Les protestations de type Nimby sont de plus en plus fréquentes en Chine et démarrent très vite, en partie parce que les gens ordinaires sont mieux informés sur les questions environnementales. Les cas d’explosions majeures d’usines de PX [Zhangzhou dans le Fujian en avril 2015], ou encore l’incident de Tianjin en 2015, sont connus de tous, les gens sont prêts à tout pour éviter de pareilles catastrophes dans leur voisinage », réagit Judith Shapiro, auteure de l’ouvrage China’s Environmental Challenges (Polity Press, 2012, non traduit). « Mais l’une des conséquences de ces manifestations Nimby est aussi de détourner les risques environnementaux vers des régions où les populations ont bien moins la capacité politique de s’organiser et de résister, comme les zones rurales, ou l’ouest de la Chine et les minorités ethniques », poursuit Mme Shapiro.