Longtemps, Sandrine Ebène de Zorzi, née à Kinshasa, a pensé qu’elle était Française. Quand ses cousines écoutaient Koffi Olomidé, chanteur populaire congolais, elle n’était pas intéressée, et préférait la vie parisienne et ses études d’ébénisterie. « J’étais différente, je fumais des clopes, j’avais un scooter, se souvient-elle en riant. Elles, elles mettaient Koffi à fond, mais maintenant, moi aussi j’adore ! »

Aujourd’hui, Sandrine revendique à 100 % ses racines franco-congolaises. C’est justement à mi-chemin entre Paris et Kinshasa qu’elle a créé Kiti Makasi, « chaise solide » en lingala. Sobre mais élégante, cette chaise, qui fait aujourd’hui la renommée de l’ébéniste, l’a ramené à ses origines congolaises, elle qui a grandi à Paris.

Bois sacré

Dans son appartement du XIXe arrondissement, une chaise interpelle. Ce n’est pas la sienne, mais elle lui ressemble étrangement. Pieds en métal et coque en plastique thermomoulé, la pièce est un objet dessiné par les designers américains Charles et Ray Eames, et lui a coûté la bagatelle de 400 euros. Quand elle tombe dessus, en 2012, chez un brocanteur parisien, Sandrine ne se doutait pas que ces quatre pieds seraient le départ d’une belle aventure qui se déroulerait au Congo.

A l’époque, cette jeune mère de 34 ans a besoin de s’émanciper. Elle travaille dans la restauration de mobilier ancien, parfois dans les ateliers du Louvre, parfois chez l’ébéniste Christophe Chauvet. « J’avais envie de créer quelque chose avec mes mains, justifie la créatrice, au phrasé calme, en touchant un prototype fait à base de Tola, une essence issue de la forêt du Mayombe au Congo-Brazzaville. Avec le bois, il y a plusieurs contraintes, c’est un matériau vivant, tu ne peux pas le tordre dans tous les sens. »

Elle imagine plusieurs versions du siège modèle de la pop culture, à partir d’une matière première qu’elle connaît, le bois. « Je trouvais intéressant de transposer cette chaise inventée pour la production en série avec le développement des industries plastique dans un univers de fabrication dénué de toute technologie », raconte Sandrine.

« Papa Michel », de Mobutu au design contemporain

Le déclic viendra de la rencontre avec un certain Michel Vamba Tiwete. En discutant avec son oncle, elle découvre l’ébéniste congolais, qu’un de ses proches connaît. « D’un coup, sans trop comprendre, je me suis retrouvé à Kinshasa, dans la maison de Michel Vamba, à Selembao ».

En arrivant, Sandrine est choquée : « Il habite dans une sorte de favela, je ne l’imaginais pas comme ça ». Michel Vamba habite dans un bidonville, dans le quartier de Lubudi, pas loin de Makala, la prison centrale de Kinshasa. Son environnement actuel contraste avec son train de vie passé. Dans le temps, tout le monde connaissait le personnage à Kinshasa, et pour cause : il fabriquait sur mesure les meubles de Mobutu Sese Seko, quand ce dernier régnait sur le Zaïre (1965-1997).

Trente ans plus tard, l’homme n’a plus rien. Les aléas de l’histoire ont balayé son atelier et l’ont plongé dans la pauvreté. « Je lui ai expliqué le projet, raconte Sandrine. Il a accepté, et pendant un mois je passais le voir tous les deux trois jours pour voir l’avancement de son travail, discuter avec lui, l’inciter à explorer d’autres pistes jusqu’à ce que l’on trouve la bonne manière de faire ! »

La coopération marche à merveille. Sandrine Ebène de Zorzi ressuscite la créativité de celui qui se croyait être fini. « Papa Michel », comme elle le surnomme affectueusement, perçoit cent euros par chaise. Ce qui lui permet de vivre décemment et de nourrir ses cinq enfants. Plus cher que le modèle qu’elle avait chiné chez le brocanteur à Paris, le produit phare qu’elle a co-créé avec lui se vend entre 700 et 900 euros sur le marché, en fonction de l’essence utilisée.

« Nous produisons peu de pièces de mobilier car nous travaillons de manière artisanale et les mains libres, comme disent les Congolais, c’est-à-dire quasiment sans machine. Nous fabriquons des pièces uniques. Par conséquent nos ventes restent limitées, mais elles augmentent chaque année ! », dit la designer.

Son label Ebène Sand bénéficie d’une clientèle internationale, exigeante et amoureuse de l’Afrique. Elle compte parmi ses références : la résidence d’artistes du Louvre de Lens. S’imaginerait-elle faire autre chose ? « Je suis née dans la forêt, disons dans un pays où le bois est une ressource principale, et trente ans après je deviens ébéniste. Mon rapport au bois et mes origines sont liés… d’ailleurs mon nom Ebène, ne me prédestinait à rien d’autre ». La boucle est bouclée.