La clameur monte comme une vague s’apprêtant à déferler. Le convoi présidentiel approche, et les cris de la foule, massée sur les bas-côtés, s’élèvent, les poings serrés se dressent. Debout à travers le toit ouvrant, Edgar Lungu, béret noir et chemise sans cravate, salue de la main ses fidèles, large sourire aux lèvres. Le voici dans son fief, à Chawama, une banlieue de Lusaka où le président zambien, ex-député de la circonscription, a sa maison familiale.

Devant le bureau de vote, installé dans les locaux d’une communauté religieuse, la file d’attente n’a cessé de s’allonger depuis le coup d’envoi à 6 heures du matin, ce jeudi 11 août, d’une journée à plusieurs scrutins en Zambie. A l’intérieur, sur une vieille table en bois, cinq urnes en plastique de couleurs différentes. Le candidat sortant, du Front patriotique (PF), y glisse cinq bulletins de vote. Outre leur prochain chef d’Etat, 6,7 millions de Zambiens sont appelés à choisir leurs députés, maires, conseillers municipaux, et à se prononcer par référendum sur une nouvelle déclaration de droits.

A la sortie d’Edgar Lungu, les acclamations reprennent. Malgré la bousculade, il prend quelques secondes pour répondre à une question qui hante ces élections zambiennes : « si vous perdez, accepterez-vous de quitter le pouvoir ? » « Oui, je le ferai, mais je suis très confiant » répond-il.

Tout au long de la campagne électorale d’une présidentielle annoncée très serrée, le pouvoir en place a été accusé d’alimenter un niveau de tensions encore jamais atteint dans un pays réputé pour sa stabilité et ses alternances démocratiques.

Une militante du principal parti d’opposition, le Parti uni pour le développement national (UPND), a été tuée par la police en juillet, en marge d’un meeting. La campagne a dû être suspendue dix jours dans la capitale zambienne à cause d’affrontements entre des soutiens d’Edgar Lungu et d’Hakainde Hichilema, du nom du candidat UPND. Les autorités ont également fait fermer The Post, seul quotidien d’opposition.

Grain Phiri, âgé de la quarantaine, a dû patienter deux heures pour voter. Exhibant fièrement son ongle de pouce recouvert d’une marque violette, il est confiant pour son candidat. « J’ai voté pour Lungu car c’est un homme humble, qui comprend les petites gens comme moi » insiste cet habitant. La campagne électorale s’est focalisée sur les deux personnalités, leurs programmes, peu détaillés, étant relativement similaires. « Il n’est pas comme HH [surnom de Hakainde Hichilema], cet homme d’affaires qui méprise les plus pauvres, je l’ai vu à la télé ».

L’avant-veille et la veille du scrutin, la télévision nationale publique, ZNBC, a diffusé dans ses journaux du soir un long sujet accusant l’opposant d’avoir expulsé des habitants et leur bétail pour récupérer des terres dans l’ouest du pays. Aucune image des derniers meetings du UPND n’a été diffusée pendant ces bulletins d’information, tandis que les rassemblements du PF étaient largement couverts.

Un quartier acquis à Lungu

Homme de ménage dans un hôtel luxueux de Lusaka, Evaristo Kabwe salue les réalisations du chef d’Etat : « il a fini de construire des écoles, des routes, des hôpitaux, des projets lancés par son prédécesseur le président Sata ». Le décès de ce dernier en cours de mandat avait conduit à la tenue d’une élection présidentielle anticipée en janvier 2015, remportée par Edgar Lungu devant son rival Hakainde Hichilema.

Cette fois-ci, un mandat entier de cinq ans est en jeu. M. Lungu en a besoin selon Evaristo Kabwe : « il peut faire plus comme dans l’agriculture qui n’est pas assez développée, et dans l’éducation où les enseignants ne sont pas assez bien payés ».

Dans ce bastion PF, les partisans de Hakainde Hichilema sont rares. Ou prudents. A proximité, la cabane en tôle ondulée du salon de coiffure d’Anthony Banda. Sur la porte, un autocollant aux couleurs verte et blanche du PF, avec le visage d’Edgar Lungu. « Je l’ai mis là pour être tranquille avec mes clients » glisse l’homme de 23 ans. Il baisse la voix : « je vais voter HH car il appartient à la même ethnie que moi – les Tongas –, il faut aussi du changement pour que je trouve un meilleur travail ». La coupe pour un homme est à 5 kwachas [40 centimes d’euros]. Anthony Banda ne parvient à en faire qu’une cinquantaine par mois.

60 % des Zambiens vivent sous le seuil de pauvreté. La sévère crise économique, déclenchée par la chute de la demande et du cours du cuivre, de loin la principale source de devises du pays, a frappé de plein fouet les plus déshérités. « Edgar Lungu n’a pas fait assez contre cette crise, il faut de nouvelles solutions » réclame David Garakara, « le sac de 25 kg de maïs [aliment de base des Zambiens] a grimpé de 30 % en un an, pareil pour le litre d’essence ! ». La dévaluation du kwacha a renchéri le coût de la vie, le taux d’inflation atteint 22 %.

Les maisons en parpaings d’une seule pièce, parfois deux, qui bordent le bureau de vote, doivent se partager quelques robinets d’eau installés à l’extérieur. L’électricité est coupée plusieurs heures par jour.

Elections sans incident pour l’instant

« On dit que le président Lungu a fait des choses, mais moi, je ne les vois pas » confie Ruth Sibbuyu, en jetant un œil à ces habitations. Diplômée de l’équivalent du baccalauréat depuis presque deux ans, la jeune femme attend toujours de décrocher une bourse pour pouvoir faire des études de médecine à l’université. « Au moins, HH a une vision, il peut développer notre pays » estime-t-elle.

A 20 ans, c’est la première fois qu’elle vote. Le choix des 22 % de nouveaux inscrits sur la liste électorale sera clé pour l’élection du prochain président zambien, tout comme le taux de participation, assez bas en 2015. En fin d’après-midi, aucun incident majeur dans le déroulement du vote n’avait été signalé dans le pays. Les bureaux de votes doivent fermer à 18 heures

« C’est à partir du dépouillement qu’il va falloir surveiller de près » indique un membre du Groupe de supervision des églises chrétiennes (CCMG). Cette organisation non-gouvernementale a prévu d’effectuer un décompte parallèle et indépendant des bulletins de vote grâce à des délégués présents dans un échantillon représentatif de bureaux.

« C’est une façon de limiter une éventuelle manipulation des résultats, une option à envisager au regard de cette campagne électorale marquée par autant de tensions ». Autre crainte des observateurs : le déclenchement d’incidents violents par les partisans du camp défait, une fois les résultats annoncés, vendredi ou samedi.

Pour accéder à la magistrature suprême dès le premier tour, un des neuf candidats devra toutefois obtenir plus de 50 % des voix. La règle inédite du second tour a été instaurée lors d’une récente modification de la constitution. En 2015, Edgar Lungu avait été élu après un seul tour de scrutin. De peu. 48,3 % des voix, contre 46,7 % pour Hakainde Hichilema.