Le maire de Cannes, David Lisnard, le 9 mai 2016. | VALERY HACHE / AFP

Le 28 juillet, le maire de Cannes, David Lisnard (Les Républicains), a pris un arrêté interdisant l’accès aux plages de la commune ainsi que la baignade des personnes n’ayant pas une « tenue respectueuse de la laïcité ». Pour justifier la prise d’une telle décision, la municipalité évoque les récents attentats sur le territoire français revendiqués par l’Etat islamique, notamment ceux de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Le 11 août, la section Cannes-Grasse de la Ligue des droits de l’homme a dénoncé via un communiqué un « abus de droit », rappelant que la Constitution de 1958 garantit à tout citoyen sa liberté de conscience et le libre exercice du culte. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) va de son côté saisir la justice en référé-liberté afin de contester l’arrêté.

Peut-on parler d’abus de droit ?

Plusieurs notions ressortent dans l’arrêté, notamment le respect de la laïcité et la prévention des troubles à l’ordre public.

La laïcité est invoquée en référence à la Constitution de 1958 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). L’article 10 de la DDHC précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». La Constitution garantit par ailleurs le respect des croyances tandis que la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 instaure la notion de culte et de respect de celui-ci.

Interpellé sur l’affaire de Cannes par Feïza Ben Mohamed, porte-parole et secrétaire générale de la Fédération des musulmans du Sud (FMS), l’Observatoire de la laïcité a rappelé sur Twitter que la laïcité ne peut servir de base à des restrictions vestimentaires.

En France, une circulaire du 2 mars 2011 relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public interdit le port du voile intégral. C’est la seule mention légale d’une restriction vestimentaire concernant l’espace public, qui englobe les plages dans sa définition. Seuls les écoles, collèges et lycées sont concernés par l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires.

La loi n’interdit donc en rien le port d’une kippa, d’une croix, d’un niqab ou encore d’un burkini à la plage, tant que ceux-ci ne dissimulent pas le visage et n’empêchent pas l’identification de la personne, tout comme elle n’interdit pas le port de t-shirts à manches longues portés par pudeur ou pour se protéger du soleil.

« Disproportionné »

L’autre point soulevé est le problème de la sécurité, à travers l’interdiction de vêtements « de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public (attroupements, échauffourées, etc.) qu’il est nécessaire de prévenir », en référence aux récents attentats qui ont touché la France. La mairie de Cannes, comme celle de n’importe quelle commune française, peut prendre un arrêté visant à interdire un comportement si elle estime que celui-ci peut nuire à l’ordre public.

Pour Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (Credof), utiliser cette notion pour restreindre les libertés est trop vague. « On ne peut pas viser les personnes qui portent un vêtement religieux pour protéger ces mêmes personnes d’un éventuel trouble », résume le juriste, jugeant cette mesure « disproportionnée » du point de vue des motifs soulevés.

Que risque la mairie de Cannes si l’arrêté est contraire à la loi ?

Après la saisine contre l’arrêté par le CCIF, la justice devra mettre en balance les motifs invoqués par la mairie de Cannes avec le respect des libertés fondamentales et l’évaluation des risques. Si le juge des référés fait droit à la demande du collectif, l’arrêté sera suspendu. Une audience publique peut être ordonnée par la suite, lors de laquelle le CCIF et la commune seront entendus.

Une fois la décision rendue, si la justice ordonne la suspension de l’arrêté, ce dernier n’a plus d’effet. « Il y a suspension mais pas condamnation, sauf à payer des frais de justice, précise Nicolas Hervieu. Passée la décision de suspension, la sanction n’a plus de fondement légal. » Si la justice ordonne la suspension de l’arrêté, la commune de Cannes pourra toutefois faire appel devant le Conseil d’Etat.

Ce genre de cas n’est pas une première. D’après Nice-Matin, la commune de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, aurait pris un arrêté similaire à celui de la ville de Cannes. En 2014, le collectif avait fait suspendre un arrêté similaire pris par la commune de Wissous dans l’Essonne, interdisant le port de signes religieux lors de la manifestation estivale de la ville.

Le burkini est-il spécifiquement visé par l’arrêté ?

Alors que l’arrêté vise de manière générale le port de tenues « non laïques » à la plage, le burkini est rapidement revenu sur le tapis, quelques jours après la polémique sur la journée spéciale burkini organisée à Marseille puis annulée pour risque de trouble à l’ordre public.

Si le burkini ou un autre vêtement religieux lié à l’islam n’est précisément mentionné dans l’arrêté, la mairie de Cannes a recentré l’attention sur l’extrémisme islamiste. Interrogé par Nice-Matin, David Lisnard avait ainsi déclaré qu’il ne s’agissait pas d’interdire « le voile, ni la kippa, ni les croix » mais « simplement un uniforme qui est le symbole de l’extrémisme islamiste ». Thierry Migoule, directeur général des services de la ville de Cannes, chargé de l’exécution de l’arrêté, avait également précisé à l’AFP qu’il s’agissait d’interdire « les tenues ostentatoires qui font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre ».

Des voix se sont élevées pour dénoncer un arrêté « symptomatique d’une époque », comme le dénonce Feïza Ben Mohamed. Pour la porte-parole de la FMS, cette décision est le symbole d’une problématique qui est en train de se créer autour de la visibilité des musulmans.

« Le maire de Cannes a pris l’arrêté sans se dire qu’il pouvait être inquiété, déplore-t-elle : Aujourd’hui, quand on s’en prend aux musulmans, on n’a pas peur. » Feïza Ben Mohamed s’interroge également sur l’application de l’arrêté : « Est-ce que l’accès aux plages sera aussi interdit aux princesses saoudiennes ? Je ne le crois pas. David Lisnard veut enlever des moments de convivialité à des familles. »