C’est une cérémonie très particulière qui va se dérouler du 12 au 19 août près de Belo-sur-Tsiribihina, à l’ouest de Madagascar. Le Fitampoha, ancienne cérémonie dynastique, réunit tous les cinq ans des milliers de personnes. Lors du 8e et dernier jour des festivités, les reliques royales sakalava sont sorties et plongées dans le fleuve Tsiribihina.

Mais l’absence d’une des reliques ternit l’événement et ravive une blessure : la tragédie d’Ambiky. Lors de l’attaque, dans la nuit du 29 au 30 août 1897, de l’ancienne capitale royale du Menabe par les troupes coloniales françaises, le roi Toera ou Andriamilafikarivo (vers 1853-1897) fut décapité.

Lui rendre culte

Sa tête fut saisie par les vainqueurs et elle « disparut » des rapports officiels. D’aucuns en ont conclu qu’elle fut perdue à jamais. Les descendants du roi Toera sont représentés par la famille Kamamy, les principaux organisateurs du Fitampoha. Ils sont toujours privés du crâne (kabeso) de leur ancêtre, et de la liberté de lui rendre culte, puisque cet élément du squelette est nécessaire à la constitution de sa relique. Plusieurs années de recherches ont ouvert de nouvelles pistes, qui pourraient conduire à l’authentification du crâne du dernier roi indépendant du Menabe.

Pendant l’été 1897, une année après que Madagascar soit déclarée colonie française, une campagne militaire fut lancée en vue de « pacifier » l’ouest de l’île. Le général Gallieni donna la priorité à l’occupation du Menabe. La nuit du 29 au 30 août, le commandant Gérard fit attaquer par surprise le village royal d’Ambiky, qui avait pourtant déposé les armes. Ce fut un véritable massacre. Parmi les tués, dont le nombre reste indéterminé (97 selon les rapports officiels, 5 000 selon des dénonciateurs de crimes coloniaux), se trouvait le roi Toera et son bras droit Vongovongo.

Ambiky a longtemps été associé à la décapitation de la royauté du Menabe, entraînant un profond traumatisme chez les Sakalava. Un soulèvement général embrasa ensuite le Menabe. Durant la « rébellion » sakalava de cinq années (1897-1902), la région de l’ouest fut particulièrement troublée.

Des crânes humains en priorité

C’est dans ce contexte de crise que Guillaume Grandidier, fils du célèbre explorateur Alfred Grandidier, mena en 1898-1899 des excursions à travers le pays sakalava. Le naturaliste fut autorisé à suivre les colonnes dans leur progression à travers l’ouest et le sud-ouest de l’île. En cette fin du XIXe siècle, intérêts scientifiques et coloniaux étaient étroitement liés. Les guerres de conquêtes ont facilité la constitution d’importantes collections (botaniques, zoologiques et anthropologiques) de Musées européens. Alfred Grandidier, qui menait alors une brillante carrière scientifique à Paris, indiqua à son fils quels spécimens collecter en priorité, parmi lesquels des crânes humains.

Discipline alors très en vogue, la « craniologie » exigeait une accumulation de crânes, qui permettait de constituer des séries, en vue d’établir des classifications raciales. À Morondava, lieu de résidence du commandant de cercle, Guillaume Grandidier écrivit le 7 mai 1898 à son père Alfred : « Hier, on m’a annoncé qu’on avait envoyé au Commandant Putz deux têtes d’illustres Sakalaves de la Tsiribihina, peut-on lire dans une lettre que l’on retrouve au Muséum d’Histoire naturelle. Je suis allé en parler au Commandant, qui m’a autorisé à les prendre, mais en les déterrant, c’était une telle infection que j’ai été obligé de les enterrer précipitamment ailleurs, d’où on les exhumera le mois prochain pour m’envoyer les crânes à Tulear. »

L’indication « d’illustres Sakalava de la Tsiribihina » et le fait que ces têtes étaient gardées sous la surveillance du chef militaire français à Morondava, laissent penser que ces deux individus étaient des personnages politiques de premier plan. Or, à cette époque, les principaux chefs sakalava de la Tsiribihina tués par les Français avaient trouvé la mort lors de l’assaut d’Ambiky.

L’état avancé de putréfaction

Parmi eux, les figures les plus prestigieuses étaient sans nul doute celles du roi Toera et de Vongovongo. Huit mois s’étaient écoulés entre leur exécution et l’écriture de la lettre de G. Grandidier, ce qui peut expliquer l’état avancé de putréfaction de ces restes humains.

Sur les deux crânes de « Sakalava de la Tsiribihina » a été inscrite la mention « avril 1898 ». Il s’agirait de la date de leur acquisition par les autorités militaires françaises à Morondava. Le transport de ces crânes de la Tsiribihina jusqu’à Morondava était stratégique, puisque en cette saison de la fin des pluies, en mars-avril 1898, une opération d’envergure se préparait pour écraser les « rebelles » de la région du fleuve. Que le commandant Putz accepte que ces crânes soient déplacés, et éventuellement envoyés à l’extérieur de l’île, supposait une manœuvre politique et militaire en vue de la « Pacification » de l’ouest de Madagascar.

De Morondava, les deux crânes de Sakalava de la Tsiribihina ont été envoyés à Tuléar, sur la côte sud-ouest de l’île, puis expédiés, peut-être via la Réunion, jusqu’à Marseille et enfin Paris. Ces crânes furent inventoriés parmi les objets de collections d’anthropologie entrés en 1899 au Muséum d’Histoire naturelle à Paris, où ils sont entreposés dans le département des collections anthropologiques à l’écart du public. Ils sont aujourd’hui en bon état.

En vue de déterminer si l’un de ces deux crânes de Sakalava de la Tsiribihina pourrait être celui du roi Toera, une demande de prélèvement ADN a été adressée en juin 2014 au Museum, avec l’accord de la famille Kamamy. La réponse du Museum se fait attendre.

Klara Boyer-Rossol est Docteur en Histoire de l’Afrique à l’Université Paris 7 Denis Diderot.