Editorial Le déploiement par Moscou de très sophistiqués missiles antiaériens S-400 dans la Crimée occupée et la remontée des tensions avec l’Ukraine alarment Washington et les capitales européennes, à commencer par Paris et Berlin. Cette inquiétude est justifiée. Car les rodomontades belliqueuses de Vladimir Poutine défient ouvertement Français et Allemands, co-parrains en 2015 des accords de Minsk, censés mettre un terme aux affrontements meurtriers dans l’est de l’Ukraine avec les séparatistes soutenus par le Kremlin.

Les Occidentaux s’interrogent, une nouvelle fois, sur les véritables objectifs du maître du Kremlin. Beaucoup, fascinés, le comparent à un joueur d’échecs déplaçant ses pièces avec quelques coups d’avance. Le président russe serait plutôt un joueur de poker, habile à saisir les occasions offertes pour pousser ses cartes, y compris par le bluff. Redoutable tacticien, il reste un piètre stratège, comme en témoigne justement le bilan de sa politique ukrainienne. Sa crainte était de voir cette ex-République soviétique s’autonomiser réellement de la Russie. Tel Gribouille, il a précipité ce qu’il voulait éviter.

Economie russe asphyxiée

A l’automne 2013, ses efforts pour bloquer l’accord d’association entre Kiev et l’Union européenne ont déclenché la « révolte de Maïdan » qui a balayé le président pro-russe Viktor Ianoukovitch et conduit à l’installation, avec Petro Porochenko, d’un pouvoir pro-européen. Au printemps 2014, l’occupation de la Crimée – première annexion par la force d’un territoire en Europe depuis 1945 – a entraîné la plus grave crise avec les Occidentaux depuis la fin de la guerre froide et précipité l’instauration de sanctions économiques. Elles ont été alourdies l’été suivant pour punir Moscou de son soutien actif aux rebelles séparatistes du Donbass.

La vraie force de Poutine a toujours été la faiblesse de ses adversaires

Déjà affaiblie par la baisse des cours du pétrole, l’économie russe continue à en subir les conséquences. Elles sont tout aussi sérieuses sur le plan diplomatique. Rêvant jadis d’un reset des relations américano-russes, l’administration Obama reste très méfiante et l’épisode en cours ne va pas améliorer les choses. Quant aux Européens, ils étaient de plus en plus divisés. Une bonne partie d’entre eux (les capitales traditionnellement pro-russes, mais aussi les sociaux-démocrates allemands et une majorité de la droite française) estimaient qu’il fallait progressivement lever des sanctions aussi pénalisantes pour les Vingt-Huit que pour la Russie, même si les accords de Minsk restaient largement lettre morte. Que feront-ils face à une remontée des tensions en Ukraine ?

La vraie force de Poutine a toujours été la faiblesse de ses adversaires. Il affiche d’autant plus ostensiblement aujourd’hui sa réconciliation avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, que ce dernier prend ses distances avec Américains et Européens depuis le putsch raté du 15 juillet.

De même, l’impuissance des Occidentaux en Syrie l’a incité à intervenir militairement dans le conflit en septembre 2015 pour sauver le pouvoir d’Assad et se poser en acteur incontournable d’une solution négociée de cette guerre. Convaincu d’avoir désormais en main les cartes maîtresses et pressé d’agir dans l’hypothèse d’une victoire à la présidentielle américaine d’Hillary Clinton – probablement moins accommodante que son prédécesseur –, le président russe semble à nouveau décidé à relancer la mise face à Kiev. Au risque de tout perdre à nouveau.