L’équipe de France de natation, visiblement en plein euphorie.

Il fallait se rendre à la piscine olympique de Rio, samedi soir à 19 h 30, pour avoir une parfaite illustration de l’expression « gueule d’enterrement ». On n’a quand même pas assisté à celui de la natation tricolore, mais ses cadres et deux de ses nageurs, réunis lors une conférence de presse, pesante tiraient tous la tronche dans la salle de conférence de l’estádio aquático où s’étaient succédé, toute la semaine, les sourires des médaillés olympiques.

Les Bleus n’y ayant pas souvent mis les pieds, Francis Luyce, président de la Fédération française de natation (FFN), n’avait pas de grandes raisons de se réjouir à l’heure du bilan, pas plus que les responsables des équipes masculine (Romain Barnier) et féminine (Fabrice Pellerin), les capitaines Fabien Gilot et Coralie Balmy, le Directeur technique national Jacques Favre, ou le directeur de la natation course, Stéphane Lecat.

Avec les deux médailles d’argent du relais 4 x 100 m masculin et de Florent Manaudou sur 50 m, Rio 2016 aura été bien moins prolifique que Londres 2012 et ses sept médailles, dont quatre en or, mais il pouvait difficilement en être autrement compte tenu des événements et des circonstances depuis – la mort de Camille Muffat et le déclin de Yannick Agnel (trois podiums à Londres chacun). Cela n’a rien d’infamant, c’est plutôt logique, mais ça n’empêche pas tout ce petit monde de sembler au bout du rouleau. C’est que la semaine a été agitée. La conférence de presse va l’être également.

Francis Luyce prend la parole en premier, et lit la feuille qu’il tient entre ses mains tremblantes. Il félicite « nos athlètes médaillés d’argent, que nous aurions préféré en or », concède que « le résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances », puis évoque les remous ayant entouré le relais 4 x 200 en milieu de semaine, au sein duquel l’unité avait semblé voler en éclats : « Je ne tiens pas à entrer en polémique sur le sujet, malgré les appréciations désobligeantes considérant le soi-disant amateurisme de notre fonctionnement. Je garde confiance en l’avenir de la nation française, avec ceux qui veulent construire, et non polémiquer. » La parole est au DTN.

Opération Gavroche 2024

Jacques Favre reviendra sur la polémique plus tard. Pour l’heure, il pose une question métaphysique : « Qu’est-ce qu’un bon bilan, qu’est-ce qu’un mauvais bilan ? » A un centième près, Manaudou prenait l’or. Et le relais 4 x 100 n’était pas si loin de conserver son titre. L’atmosphère aurait sans doute été moins grave, et les médias moins hostiles, alors que sur le fond, les lacunes dont souffre la natation tricolore auraient été les mêmes.

Florent Manaudou, le 12 août 2016 à Rio. | GABRIEL BOUYS / AFP

« Il n’y a pas de honte à être 20e aux Jeux olympiques », dit Favre, qui parle d’un bilan « intermédiaire » et évoque « la fin d’un cycle exceptionnel. La natation française a vécu de 2004 à 2016 une période magique, historique. On ne sait pas aujourd’hui si on pourra revivre la même chose. » Mais le DTN l’espère, et ce sera, explique-t-il, grâce au plan « Gavroche 2024 », un programme dont le nom surprend l’auditoire, pas sûr d’avoir bien entendu, car le portable de Francis Luyce s’est mis à sonner bruyamment au même moment.

Pourquoi Gavrovche ? « Parce qu’on pense à Paris 2024. Et parce que Gavroche représente une façon de vivre la vie de façon un peu maline, et que pour survivre dans les compétitions internationales, il faut à la fois avoir du talent, et être très malin. » Qu’importe que dans Les Misérables, le gamin des rues meure à la fin, « c’est Gavroche qui nous porte, et qui devrait nous amener un certain nombre de talents pour l’après-2020 ».

Le DTN a la gorge et la mâchoire serrées

Favre souhaite enfin s’exprimer sur le « couac » du 4 x 200, mais sa déclaration sera courte. « On a beaucoup glosé cette semaine. » Long silence. « On ne peut pas nous dire qu’on a été amateurs dans ces choix des relayeurs. C’est pas possible de dire et d’écrire des choses pareilles. Nous n’avons pas voulu répondre à un certain nombre de provocations, mais s’il faut le faire, on le fera. » Fâché contre la presse, et sans doute contre Yannick Agnel, qui l’avait mis en cause, le DTN a la gorge et la mâchoire serrées.

Au tour de Romain Barnier, qui annonce tout de go qu’il a « beaucoup de griefs à apporter ce soir ». 1. La préparation des relais s’est parfaitement déroulée, et s’ils n’ont rapporté qu’une médaille, « ce n’est pas du tout le résultat d’une ambiance, ou d’un [manque de] travail, ou de sérieux ou de professionnalisme. » 2. Là où les médias ne soulignent « que les déceptions », lui voit « les lueurs d’espoir, de jeunes athlètes qui seront là dans quatre ans, qui seront peut-être médaillés. Pothain, Metella, j’en oublie certainement ».

Et Romain Barnier alluma Alain Bernard

3. Barnier s’en prend à des journalistes sans les nommer, « des gens dans cette salle qui ne sont pas exempts d’une certaine pression qui tourne autour de la natation française depuis trois ou quatre ans ». Et puis il nomme quelqu’un : « Enfin, le dernier coup de gueule, c’est pour toi, Alain. » Barnier a planté ses yeux dans ceux d’Alain Bernard, champion olympique du 100 m en 2008, désormais commentateur pour France Télévisions, et qui a pointé, dans un entretien à 20minutes.fr, « l’amateurisme le plus complet » de la FFN lors de l’imbroglio du 4 x 200.

« J’ai été extrêmement déçu par ta sortie médiatique », lance Barnier, qui n’a pas apprécié les propos d’un nageur « qui a vécu à l’intérieur de l’équipe de France, qui connaît maintenant le jeu médiatique [puisqu’il est] à l’intérieur depuis trois ans, et les répercussions d’une telle déclaration. Je tiens à te le dire devant le parterre de tes collègues, puisque aujourd’hui, je ne considère pas qu’on fait partie de la même famille de la natation. »

Francis Luyce Corleone

Alain Bernard s’était dit prêt à offrir ses services pour aider la FFN ? « Je pense que c’est plus le temps pour toi de développer des compétences, et alors je changerai peut-être d’avis. Mais aujourd’hui, mon avis c’est qu’un ancien nageur protège l’équipe de France coûte que coûte. Je laisse la parole à Fabrice. » Pellerin, responsable de l’équipe féminine, calme temporairement le jeu de sa voix douce, tout en balançant quelques scuds au sujet des « carences incroyables » d’une natation « faiblarde ». Francis Luyce revient encore sur « le bilan non satisfaisant », et évoque la nécessité d’un nouveau chantier, « que ce soit avec le président actuel, Francis Luyce, ou avec un nouveau président », selon cette manie qu’il a de parler de lui à la troisième personne.

Alors que les journalistes sont invités à poser leurs questions, Laure Manaudou, assise en plein milieu de la salle, s’empare du micro pour demander à Francis Luyce s’il ne serait pas judicieux d’intégrer dans l’encadrement de l’équipe de France d’anciens nageurs, afin de guider les plus jeunes. Sous-entendu des champions olympiques. Sous entendu Alain Bernard. Réponse alambiquée et gênée du président de la FFN, qui remercie l’ancienne championne pour son intervention, mais esquive le sujet.

Avant de quitter l’assistance en s’excusant – « Désolé, on s’est un peu énervés, mais ça fait du bien de se lâcher » –, le président de la FFN sera revenu une dernière fois sur « l’Agnel-gate ». On lui a reproché son absence dans la tempête (dans un verre d’eau, franchement) ? « A aucun moment, répond-il, je ne me suis mêlé de ce qui ne me regardait pas. Sur le relais 4 x 200, il n’était pas du rôle du président de s’immiscer dans les décisions qui ont été prises. Chacun à sa place. L’église au milieu du village. Ok ? » Puis il conclut, façon Don Corleone : « Les affaires de famille se règlent en famille. » Voilà. C’était la natation française à Rio.