Le premier ministre canadien Justin Trudeau le 20 juillet. | CHRIS WATTIE / REUTERS

Même s’il n’a pas connu une affluence record, avec 35 000 participants de 125 pays au lieu des 50 000 attendus, le Forum social mondial (FSM) s’est clos, dimanche 14 août, à Montréal (Canada), sur une note positive : celle du resserrement des troupes altermondialistes en vue de nouvelles actions internationales. Il a aussi servi de tribune de choix à ceux qui estiment que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, au pouvoir depuis neuf mois, ne remplit pas ses promesses, notamment sur le front de la lutte contre les changements climatiques.

Plusieurs leaders altermondialistes canadiens ont profité de ce forum « anti-Davos » pour appeler à une remobilisation des troupes sur les grands enjeux climatiques. Ils s’inquiètent particulièrement de voir Ottawa entériner le projet d’oléoduc Energie Est, qui doit amener le pétrole issu des polluants sables bitumineux de l’Alberta à l’océan Atlantique.

Ce rejet des énergies émettrices de gaz à effet de serre était également l’objet de la conférence « Changer le système, pas le climat » de la journaliste et essayiste canadienne Naomi Klein, qui a attiré les foules. A la tête du mouvement pour la justice climatique Un bond vers l’avant, elle a pourfendu ceux qui, Canada en tête, suggèrent qu’on ne peut se passer de l’exploitation d’énergies fossiles et des emplois associés. Elle a évoqué le cas de l’Allemagne, un pays ayant opéré une « incroyable transition énergétique ».

Evasion fiscale et nucléaire

Au Canada, au contraire, les belles paroles de M. Trudeau ne se traduisent pas par des mesures concrètes de lutte contre le changement climatique. Dans ce dossier comme dans d’autres, souligne-t-elle, il multiplie les consultations et études : « J’ai peur qu’à la fin on se rende compte qu’elles n’ont servi qu’à démobiliser les mouvements citoyens. » Prenant l’exemple du président américain, Barack Obama, qui a suscité espoir, démobilisation puis déception des écologistes, elle craint que la même histoire ne se répète avec M. Trudeau.

Raison de plus, selon elle, de « ne pas relâcher la pression citoyenne » face à Ottawa et à la puissante industrie canadienne du pétrole et du gaz. Comme un écho, des manifestants faussement ensanglantés mimaient dans les rues de Montréal le transport de sections d’oléoducs pour illustrer les dangers du projet.

Globalement, le douzième Forum social mondial, porte-étendard de la lutte antimondialisation organisé pour la première fois dans un pays du Nord, a souffert de ce choix. La participation a été plus réduite, le Canada a refusé près de 200 visas, dont ceux à la Malienne Aminata Traoré, ex-ministre de la culture et militante altermondialiste de renom, et à six parlementaires du Népal, de la Colombie, de la Malaisie et de la Palestine. Le FSM a dénoncé cette situation dans une déclaration solennelle et en a profité pour lancer une campagne internationale contre les politiques restreignant la mobilité des personnes.

Sur le fond, cette édition s’achève sur un constat mitigé, sans que l’on sache si elle parviendra à donner un nouveau souffle au mouvement né il y a quinze ans à Porto Alegre (Brésil) et qui occasionnait d’énormes rassemblements. Si les organisateurs parlent de franc succès, ils admettent qu’il est « impossible d’évaluer sa production comme celle d’une entreprise ». Sa vocation de « renforcer la société civile, en mettant l’accent sur la création de réseaux transversaux, est néanmoins confirmée », affirme la cocoordonnatrice générale Carminda MacLaurin.

Multiplier les audits de la société civile

Raphaël Canet, l’autre cocoordonnateur général, avait bien posé le problème : l’existence d’une forte mobilisation citoyenne mondiale ne trouve pas forcément « de traduction dans les grandes organisations de la société civile ». L’un des objectifs du FSM était donc de « faire le lien entre les citoyens qui veulent partager leurs revendications et les structures en mesure d’organiser des campagnes de grande ampleur ». A l’arrivée, il estime avoir plutôt bien réussi son « passage de la réflexion à l’action concrète ». Les participants ont dégagé une centaine d’actions internationales pour les mois à venir, qui seront accessibles sur le site Internet du Forum de Montréal.

Les opposants ont évoqué l’idée d’actes de désobéissance civile, comme le « fauchage de chaises » qui avait eu lieu, pendant la COP21, fin 2015, à Paris, dans des banques françaises accusées de participer à l’évasion fiscale – de l’argent qui pourrait servir à financer la lutte contre le réchauffement, selon les militants. Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France, est notamment satisfait de la décision d’organiser en avril 2017 une journée mondiale contre l’évasion fiscale et pour la justice fiscale. Comme de « la multiplication attendue d’audits de la société civile sur la dette publique, à l’exemple de l’Equateur, de la France, de la Grèce ou de l’Argentine ». Les altermondialistes resserrent aussi les rangs, ajoute-il, en vue de la COP22, prévue en novembre à Marrakech (Maroc).

Autre point fort du Forum social mondial, selon Raphaël Canet : la rencontre à Montréal de différents acteurs antinucléaires. Eux, qui se battent souvent chacun de leur côté contre les centrales, les armes nucléaires ou l’extraction de l’uranium, ont décidé de tenir un forum commun sur l’atome, l’an prochain, à Strasbourg.