C’est une histoire débutée dans la douleur, la révolte et le combat. Parce qu’ils revendiquaient leurs droits, les verriers de Carmaux, dans le Tarn, furent exclus de leur usine. Ils bâtirent alors leur propre verrerie, la verrerie ouvrière d’Albi. Verrerie ouvrière appartenant aux syndicats jusqu’en 1931, puis coopérative ouvrière jusqu’en 1992, elle appartient aujourd’hui à Verallia, le deuxième plus grand producteur de bouteilles et pots au monde, filiale du groupe Saint-Gobain.

C’est son histoire que retrace Olivier Boudot, diplômé de l’Essec et spécialisé dans les relations entre hommes, territoires et entreprises, dans son ouvrage L’épopée des verriers d’Albi, édité chez Guides Marsilo.

« L’épopée des verriers d’Albi », Olivier Boudot, (Guides Marsilo, coll. Mémoires d’hommes, histoire d’entreprises, 2015). | D.R.

Epopée est un terme bien choisi : c’est dans le drame que débute l’histoire de cette fameuse coopérative ouvrière. En 1895, Eugène Rességuier, patron de la verrerie de Carmaux, licencie 300 verriers. Soutenus par Jean Jaurès en personne, les verriers décident alors de créer leur propre usine. Opération réussie : le 25 octobre 1896, la verrerie d’Albi est inaugurée. Le maire fait planter des mats avec oriflammes et lampions depuis la gare jusqu’à l‘usine, 80 gendarmes sont déployés dans la rue.

Après une kermesse et un meeting dans l’enceinte de l’usine, un bal populaire clôture la journée. Deux mois plus tard, les premières bouteilles sortent de la verrerie. « Elles seront gravées avec les lettres VO et porteront deux mains entrelacées, symbole de solidarité », rappelle Olivier Boudot.

Récit historique et portraits

En 170 pages, l’historien d’entreprises revient sur l’histoire de ce patrimoine industriel. Cent vingt années sont couchées sur papier glacé, des grands mouvements de grève qui aboutiront à la naissance de la verrerie jusqu’à son rachat par la compagnie de Saint-Gobain, et la cession par le grand groupe verrier à un fonds d’investissement, en passant par les années de guerre ou encore l’arrivée des machines.

L’ouvrage, très documenté, et enrichi d’illustrations actuelles et d’époque, mêle récit historique, explications techniques et portraits. L’auteur revient sur l’invention de la canne à souffler et la technique du soufflage, développée par les Phéniciens, et se penche sur la figure d’Eugène Rességuier, intransigeant patron qui s’est séparé de 300 ouvriers. Pourquoi se lança-t-il dans un implacable combat contre une poignée d’hommes déterminés ? Et qui était la mystérieuse Madame E. D., dont le don de 100 000 francs permit la naissance de l’entreprise ?

L’histoire de la verrerie condense des hauts faits du socialisme et du syndicalisme : l’une des plus grandes grèves du XIXe siècle, un laboratoire politique pour les grandes figures de l’extrême gauche de la IIIe République, une alliance inédite de toutes ses tendances et chapelles, rappelle Jean-Louis Beffa, président d’honneur de la compagnie de Saint-Gobain dans la préface. « L’un des mérites de ce livre est de faire résonner aux oreilles du lecteur les harangues de Jaurès et les votes des ouvriers, tout en rendant compte de la noblesse du métier de verrier, qui se range parmi l’élite ouvrière du temps. Il le fait sans naïveté, ne passant pas sous silence les vicissitudes que rencontre, à ses débuts, la jeune usine : des résultats difficiles, les retenues sur salaires des sociétaires et les sacrifices nécessaires. »

L’épopée des verriers d’Albi, Olivier Boudot (éditions mémoires d’hommes, histoires d’entreprises, 168 pages, 29 euros).