Sofiane Oumiha (à droite), lors de son combat face au Brésilien Robson Conceiçao, mardi 16 août à Rio. | YURI CORTEZ / AFP

Le sourire éclatant ne colle pas avec le visage rouge et cabossé de celui qui l’arbore. Mardi 16 août, à Rio, le Français Sofiane Oumiha a perdu une finale olympique, celle des moins de 60 kilos, face au Brésilien Robson Conceiçao, lors d’un combat disputé dans l’ambiance survoltée d’une salle en transe.

Aucun regret, ni critique mal placée – comme le perchiste Renaud Lavillenie, dépossédé de son titre la veille par un jeune concurrent brésilien également porté par son peuple –, le jeune boxeur savoure simplement son combat et sa première médaille olympique : « C’était magnifique. Je n’ai jamais vu ça, une ambiance comme ça. Aujourd’hui, je voulais grimper sur l’Olympe. Je reste au pied, ce n’est pas grave, j’ai 21 ans, j’ai l’avenir devant moi. Je vais rebondir pour revenir encore plus fort. »

Si le Toulousain a échoué dans sa quête de l’or, l’équipe de France de boxe a déjà gagné ses Jeux. Assurés de décrocher six médailles à Rio, dont deux en bronze et une en argent, les tricolores peuvent encore décrocher l’or. Surtout, la boxe terminera sur la première marche des disciplines qui ont apporté des breloques à la délégation française à Rio, le judo totalisant cinq récompenses.

Etat d’esprit collectif

Seulement quatorzième avant cette 31e édition des JO au classement des sports français les plus pourvoyeurs de médailles (19 depuis les Jeux de Saint-Louis, en 1904), le noble art est à la fête. Oublié le zéro pointé de Londres en 2012, dépassé les trois médailles de Pékin en 2008, il ne manque plus qu’à jouer les alchimistes et à transformer en or au moins l’une des trois breloques aux couleurs encore incertaines. Le record de médailles d’or avait été réalisé à Berlin en 1936 avec deux titres dont celui du célèbre Roger Michelot, « l’As des as » interprété au cinéma par Jean-Paul Belmondo.

Deux candidates et un candidat sont en lice pour succéder au dernier champion olympique français (Sydney 2000), le très médiatique Brahim Asloum, consultant pour France Télévisions. Les trois pugilistes disputent les demi-finales de leur catégorie respective : le couple à la vie, Estelle Mossely (mercredi en moins de 60 kilos) et Tony Yoka (vendredi en plus de 91 kilos), ainsi que la plus expérimentée Sarah Ourahmoune, 34 ans, qui combattra jeudi en moins de 51 kilos.

« J’espère qu’on entendra au moins une Marseillaise. Je l’espère de tout mon cœur, d’entendre retentir ici l’hymne national. Ce qui fait notre force, c’est d’être solidaire. »

« On a peut-être six médailles mais il reste à obtenir le plus beau métal. On en veut au moins deux », lance le champion du monde Tony Yoka. L’un de ses entraîneurs, John Dovi, partageait le pronostic de l’un des leaders naturels du groupe : « La Marseillaise va résonner, je vous l’assure. On n’a pas charbonné autant pour rien. »

A peine sorti du ring et descendu de son podium, Sofiane Oumiha ne pensait d’ailleurs qu’à ses coéquipiers : « J’espère qu’on entendra au moins une Marseillaise. Je l’espère de tout mon cœur, d’entendre retentir ici l’hymne national. Ce qui fait notre force, c’est d’être solidaire. » Un état d’esprit collectif qui saute aux yeux depuis le début des compétitions de boxe. Lundi 15 août, quelques minutes après la frustration de sa demi-finale perdue, Souleymane Cissokho, capitaine de l’équipe de France, affichait le même altruisme : « Je suis encore dans la compétition. Il y a encore plein de chances de médailles françaises et on va se tirer vers le haut. »

« La France universelle »

Sport individuel par excellence lorsqu’il est pratiqué chez les professionnels, la boxe se transforme quasiment en sport collectif chez les amateurs qui représentent l’équipe de France aux Jeux. Ces dernières années, la boxe olympique avait pourtant traversé des moments difficiles. En mars 2015, Alexis Vastine, médaillé de bronze à Pékin, fait partie des victimes du crash d’hélicoptère sur le tournage de l’émission de téléréalité « Dropped » en Argentine. Le talentueux Normand avait eu du mal à se remettre des décisions arbitrales contestables qui l’avaient privé de la consécration ultime à Londres en 2012.

Au Brésil, l’un des entraîneurs des Bleus les plus influents, le Cubain Luis Mariano, dont on dit qu’il a transformé les Français en boxeurs cubains, ne se sépare pas du tee-shirt en l’hommage de son ancien protégé. « Le décès d’Alexis a été très difficile pour toute l’équipe. Ça a peut-être soudé aussi ce groupe. Tout le monde a évidemment à l’esprit Alexis, à chaque fois qu’un boxeur monte sur le ring », raconte Kévinn Rabaud, directeur technique national.

La cohésion des forçats du ring français passe aussi par de nombreux stages dans des pays de boxe comme Cuba. Là-bas, les pugilistes règnent en maître et ont rapporté la bagatelle de 34 médailles d’or à l’île. « Tout le monde veut sa médaille. Depuis quatre ans, on est ensemble 250 jours par an lors de stages difficiles à l’étranger. On pratique un sport individuel avec une vie de groupe », explique l’entraîneur français John Dovi, lui-même ancien boxeur.

« On ne se prend pas au sérieux mais on travaille »

Revenue sur les rings en 2014 dans l’optique de disputer les Jeux, après une grossesse, l’ancienne championne du monde Sarah Ourahmoune décrit cette dynamique positive. « On est une vraie équipe, sans clan. On ne se prend pas au sérieux mais on travaille. L’encadrement fait en sorte que l’on partage des moments ensemble. L’insouciance des plus jeunes me fait du bien », livre celle qui vise l’or olympique pour sa deuxième participation aux Jeux, la boxe féminine n’ayant rejoint le programme olympique qu’en 2012.

Souvent originaire de milieux populaires, la « génération Rio » est la meilleure publicité pour la boxe française. Originaire du quartier de la Reynerie, à Toulouse, qu’il qualifie lui-même de « difficile », Sofiane Oumiha disait ceci après son combat : « Je sors de nulle part. Il y a deux, trois ans, j’étais encore dans mon quartier. Je restais avec mes amis, les gens me voyaient faire mon footing. Aujourd’hui, je rends tellement de monde fier… C’est ça aussi la France universelle. Le sport, c’est beau, je n’ai pas de mots. »

L’ancien boxeur Jérôme Thomas, double médaillé olympique à Sydney (2000) et à Athènes (2004), résume les bonnes vibrations qui se dégagent des gants de l’équipe de France : « Ils sont sans pression. A cet âge, tu te lâches et tu fais tes meilleurs combats. J’ai l’impression que c’est une génération de garçons et de filles intelligents. Plus que les résultats, on retiendra leurs bons discours et la bonne image qu’ils donnent de la boxe. »