Simone Biles lors de l’épreuve de gymnastique au sol, mardi 16 août, à Rio. | Julio Cortez / AP

C’en serait presque rassurant. Capable de toutes les acrobaties, Simone Biles sait aussi reproduire les gestes les plus simples de ses compatriotes. Sur la plus haute marche du podium, l’enchaînement va de soi pendant l’hymne américain : se tenir debout au garde-à-vous ; plier le bras gauche dans son dos ; maintenir la main droite sur le cœur. Les yeux embués étant en supplément, mardi 16 août, dans l’Arène olympique de Rio de Janeiro.

Mais la gymnaste est avant tout un sourire. Celui d’une jeune femme à peine sortie de l’adolescence et devenue, pendant ces Jeux, le nouveau visage des Etats-Unis. En l’espace d’une semaine, quatre médailles d’or olympiques : lors de l’épreuve au sol, pour finir, mais aussi au saut de cheval, au concours général individuel et par équipes. Et à chaque fois, toujours cette aisance dans le salto, toujours cette agilité dans l’art fragile de la demi-vrille.

Biles mesure 1,45 m, mais elle a les épaules robustes. Seules quatre gymnastes avaient déjà réussi un quadruplé en une seule édition des Jeux, la dernière en date étant Ecaterina Szabo, en 1984. Devant une telle domination, c’est pourtant à une autre Roumaine que l’on songe : Nadia Comaneci avait émerveillé le monde à Montréal, un jour de 1976, et son 10 sur 10 est encore dans toutes les mémoires. Surtout celles des journalistes, jamais réticents à l’idée de comparer les époques et leurs championnes. Qu’importent les différences dans le système de notation. Qu’importe l’évolution des pratiques. Q’importent leurs âges respectifs : l’Américaine a aujourd’hui 19 ans, la Roumaine en avait 14.

Un mouvement à son nom

Biles, nouvelle Comaneci ? La première nommée doit se préparer à entendre encore longtemps la même question. « Je n’aurais jamais à l’idée de me classer moi-même, réplique-t-elle à l’issue de la compétition, ce serait bizarre. » Même prudence de la part de son aînée, aujourd’hui titulaire de la double nationalité roumaine et américaine. « Simone est une championne olympique incroyable et j’en suis une grande fan, a déclaré Nadia Comaneci au quotidien USA Today. Mais seul le temps dira si elle deviendra la meilleure de tous les temps. »

Reconnaissable à son survêtement rouge siglé « USA » et au clinquant de ses boucles d’oreilles, l’une des mieux placées pour parler s’appelle Martha Karolyi. Dans le corridor de la salle brésilienne, l’entraîneuse des Etats-Unis s’apprête à quitter ses fonctions. A 73 ans, elle a tout vu, tout connu. Le socialisme roumain, le capitalisme américain ; Nadia Comaneci, Simone Biles. Entre les deux gymnastes, selon elle, quelques points communs :

« Chacune d’elles a dominé largement la concurrence aux Jeux olympiques, et chacune d’elles a le même extraordinaire niveau de confiance en soi, la même extraordinaire capacité mentale. »

Des similitudes, mais une façon de faire bien à elle. Mieux encore : un mouvement à son nom, comme un astrologue aurait sa comète, ou une patineuse, sa figure. Mardi après-midi, le public brésilien attendait le « Biles », et il l’a eu. Double salto arrière suivi d’une demi-vrille ! Applaudissements d’une salle déjà conquise en une minute et demie de spectacle, toujours trop court au goût des spectateurs, dans une ambiance entraînante de samba. Le choix de la sportive est habile : la musique convient autant à ses facultés gestuelles qu’au goût local.

Simone Biles lors de l’épreuve de gymnastique au sol, mardi 16 août, à Rio. | TOSHIFUMI KITAMURA / AFP

S’adapter, d’accord, mais toujours en justaucorps américain. La Texane a un ruban dans les cheveux aux couleurs bleu et rouge, des cils aux paillettes dorées et une tenue avec assez d’étoiles scintillantes pour suggérer le drapeau des Etats-Unis. Plus que ses tenues, son parcours inspire jusqu’aux responsables politiques. A la lutte avec l’ultraconservateur Donald Trump, Hillary Clinton a convoqué le nom de la sportive sur le réseau social Twitter, le 11 août : « Si l’équipe américaine était aussi peureuse que Trump, écrit la candidate démocrate à l’élection présidentielle de novembre, Michael Phelps [nageur aux 23 médailles olympiques] et Simone Biles seraient encore en train de se recroqueviller dans le vestiaire. »

« Comment pourrais-je être déçue ? »

Trump ou Clinton ? Médaille d’or autour du cou, la sportive et les journalistes américains ont jugé inintéressant d’aborder le sujet à l’issue de son quatrième titre olympique. Mais on aura été heureux d’apprendre, grâce aux questions, que la sportive raffolait des pizzas pepperoni. Ou encore que, oui, elle a trouvé très seyantes les chaussures jaune fluo de son équipementier pour la cérémonie des médailles. Malgré la sollicitation du Monde, la sportive préfère se tenir à l’écart du débat politique. David Barron, reporter au Houston Chronicle, attribue ce comportement à son jeune âge et à sa portée nationale : « Elle représente tout le monde, elle représente le pays. »

Les Etats-Unis ont fait connaissance avec la triple championne du monde en titre au concours général – un record – il y a quelques années déjà. Dans les médias, son histoire a ému. Elle raconte le parcours d’une fillette de 3 ans contrainte de quitter sa mère, en proie à l’alcool et à la drogue, pour grandir avec son grand-père maternel et la compagne de celui-ci. L’enfant trouvera en son entraîneur, Aimee Boorman, une « seconde mère ».

Cette femme continue de l’accompagner à chacune de ses compétitions. Depuis les Jeux de Rio, elle porte le survêtement rouge et le collier argenté du « team USA ». Désormais entraîneur des gymnastes de l’équipe nationale, et toujours la première pour accueillir dans ses bras Simone Biles à la sortie d’un agrès. Sur cinq finales, un seul accroc : une perte d’équilibre et une médaille de bronze à la poutre. « Je pars de mes premiers JO avec cinq médailles dont quatre en or, comment pourrais-je être déçue ? Ç’a été une expérience incroyable. Tout ce que j’ai gagné, je n’aurais jamais pu en demander autant. » Après celui des Etats-Unis, l’hymne à la joie.

Simone Biles (médaille d’or) et sa compatriote Alexandra Raisman (médaille d’argent) sur le podium de l’épreuve de gymnastique au sol, mardi 16 août, à Rio. | Rebecca Blackwell / AP