Julius Yego, sacré champion du monde de javelot à Pékin, en août 2015. | ANTONIN THUILLIER / AFP

La vidéo a été vue plusieurs centaines de milliers de fois sur Internet. L’athlète a comme le regard apeuré. Son gros bras musclé soutient fermement son long javelot blanc tressé de rouge au-dessus de sa tête. Il court, lance, tombe au sol à plat ventre. La longue tige à la pointe d’acier s’envole. Le public gronde. Le lanceur relève la tête. Résultat affolant : 92,72 mètres.

Le 26 août 2015, le Kényan Julius Yego rentrait avec fracas dans la légende du javelot, récoltant l’or aux championnats du monde d’athlétisme de Pékin et effectuant du même coup le troisième meilleur lancer de l’histoire, 6 mètres à peine derrière son idole, le légendaire Tchèque Jan Zelezny (98,48 mètres en 1996).

Rien ne prédestinait le jeune Julius au javelot. Le lanceur star voit le jour en 1989 dans le district de Nandi, dans l’ouest du Kenya. Une terre de culture du thé noir, pas très éloignée des hauteurs d’Eldoret et Iten, berceau des marathoniens. Dès l’école primaire, Julius se pique de javelot. Mais au pays des coureurs rois, point d’entraîneur et encore moins de formation. Le jeune homme se forme donc sur Internet, écumant pendant des heures et des heures les cybercafés, mimant et répétant les lancers des plus grands avec de simples bâtons. De cet apprentissage orthodoxe, il gagne un surnom : « YouTube Man »

Réglages en Finlande

Diplômé de l’école de police, Yego ne passe que peu de temps en service. Dès 2010, il enchaîne les performances : d’abord le bronze aux championnats d’Afrique (74,51 mètres), puis l’or aux Jeux africains de Maputo (78,34 mètres). En 2014, il finit sur la première place du podium aux Jeux du Commonwealth, coiffant sur le poteau le Trinidadien Keshorn Walcott, vainqueur des Jeux de Londres. Un an plus tard, au Grand Prix de Birmingham, il envoie finalement son javelot au-delà de 90 mètres (91,39, précisément), signant la meilleure performance de la discipline depuis 2006.

Julius Yego pose devant le panneau affichant la distance de son lancer aux championnats du monde de Pékin, en août 2015. | ADRIAN DENNIS / AFP

Les vidéos n’ont pas été suffisantes pour former ce robuste bonhomme de 1,75 mètre et 85 kilos. « C’est une combinaison de talent, de volonté, mais aussi d’un entraînement efficace reçu en Europe », rappelle Chris Mbaisi, président de l’association des journalistes sportifs du Kenya. Si tous les chemins mènent à Rome, tous les javelots décollent d’Helsinki. Car, en Finlande, patrie du légendaire lanceur Aki Parviainen, les lanceurs sont des stars, formés dès le plus jeune âge.

« Il était plutôt explosif, avec un très bon haut de corps, mais très faible dans les jambes, j’ai dû changer quelques éléments techniques chez lui. »

A l’hiver 2011-2012, Julius prend donc le chemin du nord grâce à une bourse qui lui ouvre les portes du prestigieux centre de formation de Kuortane (Finlande occidentale). A l’arrivée l’attend un hiver glacial à − 30 degrés, mais aussi une rencontre décisive avec le coach finlandais Petteri Piironen, orfèvre du lancer de javelot. « Il lançait déjà à 78 mètres, donc je savais bien que s’il était capable de faire ça sans coach, il pouvait devenir vraiment très talentueux », confiera-t-il plus tard. Piironen prête au jeune Kényan des vêtements chauds et l’aide à améliorer sa technique. « Il était plutôt explosif, avec un très bon haut de corps, mais très faible dans les jambes, j’ai dû changer quelques éléments techniques chez lui. »

Yego symbolise un tournant dans le sport kényan. La course, souillée par le dopage et la corruption, cède aujourd’hui du terrain. A Rio, le Kenya a ainsi envoyé un athlète de saut en hauteur, Mathew Sawe, ainsi que sa prometteuse équipe de rugby à VII (les Shujaa), qui s’est finalement inclinée dès la phase de groupes. « C’est une première, nous avons compris que nous pouvions aussi exceller dans d’autres disciplines », insiste M. Mbaisi.

Performances en baisse

Les bras magiques et musclés de Julius « Caesar » Yego en ont fait une star dans son pays. Le lanceur pavane sur les publicités d’Orange ou de Tusker, la bière nationale, et pose tout sourire en compagnie du président Uhuru Kenyatta. Saura-t-il garder les pieds sur terre ou s’envolera-t-il avec ses javelots ? Une rumeur, l’an dernier, l’a dit partant pour prendre la nationalité qatarie en échange de 1 milliard de shillings (8,9 millions d’euros). L’intéressé a vite démenti.

Julius Yego, au Kenya, le 19 juillet. | TONY KARUMBA / AFP

Sera-t-il en forme ? L’année 2016 a commencé petitement, avec une modeste cinquième place aux rencontres d’Ostrava (République tchèque). Ses adversaires, en premier lieu l’Egyptien Ihab Abdelrahman, né la même année et lui aussi formé par Piironen, l’attendront au tournant.

« Ma force, c’est ma main : elle est flexible, élastique, très sympa », a récemment confié Yego à la chaîne kényane Citizen TV. A 27 ans, fort de ses bonnes étoiles chinoises, il vise en tout cas l’or mais semble déjà viser plus loin que Rio. L’athlète dit avoir déjà fait enregistrer sa fondation et être à la recherche de généreux donateurs. L’objectif de « YouTube Man » ? Apprendre aux plus jeunes à utiliser Internet pour améliorer leurs performances sportives.