Aung San Suu Kyi, lors de sa visite à Pékin, le 18 août. | Mark Schiefelbein / AP

Pour son premier déplacement officiel en dehors d’Asie du Sud-Est depuis sa victoire aux élections de novembre 2015 et l’accession au pouvoir du premier gouvernement civil depuis des décennies, Aung San Suu Kyi a choisi la Chine. Un signe de l’importance qu’accorde toujours, malgré les changements, la Birmanie (Myanmar) aux relations avec son puissant voisin chinois. Dirigeante de facto du pays, dont elle est conseillère d’Etat et ministre des affaires étrangères, Aung San Suu Kyi devait rencontrer, jeudi 18 août à Pékin, le premier ministre chinois, Li Keqiang, puis s’entretenir avec le président Xi Jinping.

L’ex-prisonnière politique avait déjà été reçue à Pékin en juin 2015, en tant que chef de l’opposition parlementaire. Notant candidement que le film de Luc Besson The Lady n’a jamais été diffusé en Chine et que la presse chinoise avait consacré peu d’articles aux péripéties de sa résidence surveillée avant 2011, le quotidien chinois nationaliste Global Times constatait, mercredi, que « beaucoup de gens en Chine n’ont pas grande connaissance de qui est Aung San Suu Kyi et de ce qu’elle représente ». « Les Chinois, insiste le Global Times, la voient plus comme une dirigeante pragmatique que comme une icône de la démocratie. »

La priorité accordée à la Chine sur les Etats-Unis – où Aung San Suu Kyi se rendra en septembre – le confirme : Aung San Suu Kyi a jeté les bases d’une nouvelle stratégie de réconciliation nationale avec les minorités ethniques rebelles de Birmanie, dans laquelle Pékin a son rôle à jouer. L’acte I en sera la conférence de Panglong, le 31 août. L’ensemble des minorités, dont certaines toujours en conflit avec l’armée birmane, y sont conviées. Un geste ultrasymbolique, puisqu’il renvoie à la conférence de Panglong convoquée en 1947 par son père, le général Aung San, pour rallier les minorités à la cause de l’Union birmane.

« Les Chinois la voient comme une dirigeante pragmatique plus que comme une icône de la démocratie », écrit le « Global Times », un quotidien nationaliste chinois

Selon l’analyste chinoise Yun Sun, du Stimson Center à Washington, Pékin n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir la participation à la conférence des groupes rebelles à la frontière entre Chine et Birmanie : fin juillet, un émissaire chinois se rendait à un sommet entre groupes ethniques organisé en zone rebelle Kachin. Dans le même temps, la Chine a convaincu la plus grosse armée ethnique rebelle, la United Wa State Army (UWSA), forte de 20 000 hommes et réputée proche de Pékin, d’envoyer ses représentants à Panglong. « La visite d’Aung San Suu Kyi en Chine est une manière de remercier Pékin », affirme Yun Sun.

Pour la Chine, il s’agit de veiller au grain, de crainte qu’une autre puissance s’en mêle. « Cette nouvelle conférence de Panglong sera un événement majeur, sur lequel l’attention de la communauté internationale se focalisera », explique au Monde le chercheur français Renaud Egreteau, du Wilson Center à Washington. « Outre les questions frontalières, Pékin voudra ainsi très certainement éviter que Panglong n’ouvre trop grand ses portes à l’Occident et au Japon, comme la signature du “NCA” – l’accord de cessez-le-feu national signé par le précédent gouvernement birman en octobre 2015 – l’avait déjà laissé entrevoir. La Chine ne veut pas d’interférence étrangère dans la région, et l’a déjà fait savoir à Aung San Suu Kyi », poursuit-il. Pékin souhaite la stabilité à ses frontières, mais n’abandonnera pas « la monnaie d’échange » que lui donnent, dans ses relations avec la Birmanie, ses liens avec certaines milices armées à ses frontières, notait, mercredi, sur le site birman The Irrawaddy, l’expert de la Birmanie Bertil Lintner.

Premier investisseur étranger au temps des sanctions

L’autre motivation de la visite d’Aung San Suu Kyi est de remettre en selle la Chine comme investisseur privilégié en Birmanie, à condition qu’elle y soit respectueuse de la vision de sa nouvelle dirigeante, notamment en termes d’environnement. C’est tout l’enjeu du dossier du barrage de Myitsone, sur le fleuve Irrawaddy, dont le chantier de 3,6 milliards de dollars lancé par les Chinois, fut suspendu en 2011, en partie sous l’impulsion de « la Dame ».

La création par le nouveau gouvernement birman, juste avant sa venue à Pékin, d’une commission pour réexaminer le dossier et donner une décision le 11 novembre, a donc été bien accueillie par les Chinois. Elle pourrait ouvrir la voie à une compensation financière de la part de la Birmanie et au redimensionnement du projet initial en une série de petits barrages. « La vérité est que toute reprise du barrage de Myitsone serait vouée à l’échec. Suu Kyi ne peut prendre le risque du mécontentement que cela provoquerait dans l’opinion publique », note dans une analyse le rédacteur en chef du site The Irrawaddy.

Premier investisseur étranger en Birmanie au temps des sanctions occidentales, Pékin est aussi conscient de la nécessité de diversifier son offre. Le projet des routes de la soie, qui dessine depuis la « tête de pont » du Yunnan, province chinoise frontalière, un « corridor économique » vers le golfe du Bengale à travers la Birmanie (dont un oléoduc et un gazoduc déjà opérationnels), tient toujours.

Mais la Chine « peut ajuster sa vision industrielle au Myanmar en passant de l’énergie et des minéraux aux infrastructures et à l’agriculture intensive », note le Global Times. Il s’agit aussi pour la Chine de « favoriser davantage la formation et l’éducation du personnel [birman] dans ses coentreprises », ce qui sera « bon pour le soft power » chinois. Pour Pékin, la concurrence est rude.

En juin 2015, Aung San Suu Kyi, alors chef de l’opposition birmane, rencontrait pour la première fois Xi Jinping à Pékin. | STR / AFP