Tony Parker, après la défaite de la France contre l’Espagne, mercredi 17 août, à Rio. | EMMANUEL DUNAND / AFP

Des applaudissements ont salué sa sortie. Professionnalisme à la mode NBA oblige, la vedette américaine est partie en remerciant « la presse internationale pour toutes ces années ». Elle est allée taper la main de journalistes qu’elle croise d’habitude sur les parquets américains, puis, casque autour du cou, saluer son pote Teddy Riner et le grand ancien Richard Dacoury. Il n’y avait que des sourires.

Quinze minutes plus tôt, en zone mixte, le couloir qui sépare la sortie du terrain de l’entrée des vestiaires, où sportifs et journalistes se croisent sans se parler vraiment, Tony Parker avait déjà perdu son regard noir. L’averse de tirs à trois points, les un-contre-un perdus, les ballons égarés face à l’Espagne qui vient de laminer l’équipe de France (92-67) en quarts de finale, comme en 2012 aux Jeux de Londres, et d’anéantir ses derniers espoirs de médaille olympique : tout cela est déjà oublié. Sa carrière chez les Bleus s’est terminée, à 34 ans, sur un ballon perdu, deux minutes et 48 secondes avant la fin du supplice. La vedette avait demandé à sortir… sous les applaudissements.

Dans ce couloir, de l’autre côté de la barrière, le meneur de jeu français parle d’un match de l’histoire lointaine : « On est tombé sur une grande Espagne. Ils ont été très adroits, c’est comme ça. »

Pas assez agressif

Vite, il faut basculer sur les beaux souvenirs. Le championnat d’Europe juniors, en 2000, avec les copains Ronny Turiaf et Boris Diaw. Le bronze européen de 2005, première médaille du basket français depuis près d’un demi-siècle. Le titre continental de 2013, apogée d’une carrière en bleu qui aura duré seize ans. « Le plus beau souvenir de ma carrière en équipe de France », dit Parker qui n’avait pas réussi à qualifier les Bleus aux Jeux ni en 2008 ni en 2004 mais estime avoir « mis le basket francais sur la carte du monde ».

Comme si le tournoi olympique qui venait de s’achever brutalement, celui en vue duquel il avait livré un plaidoyer vibrant dans le vestiaire après le bronze obtenu à l’Euro 2015 en France, n’avait pas existé. A-t-il d’ailleurs débuté un jour ? L’équipe de France a pris deux déculottées (Australie dès le premier match et Espagne), battu deux équipes trop faibles (Chine et Venezuela) et joué deux matchs sans enjeu (Serbie et Etats-Unis).

Cela peut expliquer l’absence d’intensité mise dans cette entame de quart de finale, joué dans une Arena Carioca remplie au tiers pendant les hymnes. Pour ce qui est du bruit, ce sommet entre les deux meilleures équipes d’Europe depuis dix ans avait des airs de match de classement en tournoi régional. Mais, au niveau auquel évoluent toute la saison les cadres français, cela n’excuse pas l’oubli d’un soulèvement, d’un regain d’agressivité qui aurait montré à l’Espagne que ce match comptait aux yeux de l’équipe de France.

Vincent Collet dit, sans amertume : « On aurait dû savoir s’ajuster. Pour les battre il faut être à la hauteur de leur agressivité, ce n’était pas le cas. » Le sélectionneur aurait pu inventer le coup parfait, cela n’aurait servi à rien : ses joueurs ont respecté les consignes une fois sur quatre, et les cadres – Nicolas Batum, Boris Diaw – n’étaient pas dans le rythme.

Il y a trois ans, quand l’Espagne avait martyrisé la France en première période de la demi-finale de l’Euro, Boris Diaw s’était vengé sur Sergio Llull à une minute de la pause, d’un geste méchant, de colère, pour sonner la révolte. Tony Parker avait embrayé dans les vestiaires avec un discours rare : « Au moins on joue avec notre fierté, et on joue dur. Après si on perd, c’est pas grave, c’est la vie. Mais je préfère perdre en me battant. » Ses Bleus avaient gagné en prolongation.

Que s’est-il passé dans les vestiaires de l’Arena Carioca, alors que l’équipe de France s’en sortait presque bien en revenant à 13 points (43-30) à la pause ? Rien de particulier, dit Boris Diaw. « Ce qu’il se passe toujours à la mi-temps, le discours du coach, on s’est parlé… » Dix minutes normales pour un match qui ne l’était pas. Vincent Collet a discouru sans visiblement que ses joueurs l’écoutent : « C’est moi qui ai parlé mais voyez, ça a moins bien marché (que Tony Parker en 2013)… J’ai fait référence à ça. J’ai demandé une réaction dans le domaine de l’agressivité. On l’a été un peu plus mais pas suffisamment. »

Triste sortie

Les ressorts de cette absence d’alchimie collective seront connus dans quelques jours ou des années. Pour l’instant, les hypothèses sont vaines, seul importe le constat : Mickaël Gelabale, shooteur précieux au parcours chaotique, Florent Piétrus, troisième au nombre de sélections (221) sous le maillot bleu, et Tony Parker, meilleur joueur français de l’histoire, en ont terminé. Ils demandent qu’on se souvienne des belles choses. Collet approuve et qualifie d’« anecdotique » cette triste sortie. Boris Diaw, le capitaine, 34 ans, continuera tant qu’il aura des jambes, ce qui veut tout et rien dire.

Une équipe est à reconstruire. Le problème ne viendra pas du manque de talent. « On a une bonne génération qui arrive », rappelle Parker, citant Joffrey Lauvergne, Thomas Heurtel ou Evan Fournier et, pour plus tard, les cinq joueurs sélectionnés par des franchises NBA cet été. Mais « le talent n’est pas suffisant », dit Collet. Plusieurs jeunes appelés à former l’ossature du groupe affichent depuis deux ans des lacunes que le basket international sanctionne.

Il a fallu l’abnégation du quadruple champion NBA Parker pour convaincre ses compatriotes de traverser l’Atlantique, chaque été ou presque, pour jouer les compétitions internationales avec la sélection, ce que d’autres stars étrangères rechignent à faire. Il a fallu le charisme de Boris Diaw pour faire de cette somme d’individualités un groupe – ce qui interroge d’autant plus sur la faillite de Rio. « On ne va pas remplacer Tony comme ça, ni les autres. Il faut s’attendre à ce que ce ne soit pas facile, met en garde Vincent Collet. Car je sais que la jeune génération est talentueuse mais est aussi impatiente. Pour construire, il faut aussi de la patience. Et que les choses se mettent en place dans le respect. »

Collet, en fin de contrat avec la fédération, hésite sur la suite à donner à sa carrière. Ces deux derniers mois l’ont peut-être aidé à trancher : « Quel que soit (le sélectionneur) suivant, c’est un challenge magnifique. » Parker, lui, a « zéro regret ».