Yohann Diniz qui s’arrête vers la mi-course, alors qu’il était en tête du 50 km marche. Puis qui repart, dodelinant, perclus de douleurs. Tente de s’accrocher au Canadien Evan Dunfee. Yohann Diniz qui s’évanouit, allongé sur le bitume de Rio. Avant de repartir la bouche ouverte et le corps en nage, offrant aux (télé)spectateurs des images d’une souffrance intense. A certains moments plié en deux par des douleurs gastriques, le Français, recordman du monde de la distance, a souffert un véritable calvaire pour ses troisièmes Jeux olympiques. Mais après avoir abandonné à Pékin en 2008, puis avoir été disqualifié à Londres, en 2012, pour un ravitaillement hors zone, il a terminé, au bout de l’effort et de la persévérance.

Loin derrière le vainqueur slovaque, Matej Toth (3 h 40 min 58 s), Yohann Diniz a accroché une septième place alors qu’il semblait au bord de la rupture depuis de longs kilomètres. Transporté sur une chaise jusqu’à une tente près de l’arrivée, il a été ensuite emmené à une clinique. Au-delà de l’accessit, son calvaire restera comme l’un des moments marquants de ces Jeux. Ancien marcheur international, Cédric Houssaye, qui a participé au 50 km marche des Jeux de Londres, il y a quatre ans, au côté de Diniz, revient sur ces scènes de détresse.

Les images de Yohann Diniz évanoui et allongé sur le bitume, puis en perdition lors des derniers kilomètres sont saisissantes. Qu’en pensez-vous ?

Cédric Houssaye : Je viens de faire le tour des réseaux sociaux. J’ai écouté la radio, regardé la télévision. Ce qui m’a surpris, c’est de découvrir que les gens et les journalistes découvraient que le 50 km marche était difficile. Il arrive souvent d’avoir des marcheurs qui finissent dans cet état-là. Je pense que les images font plus peur que la réalité. Parce que ce ne sont pas des images que l’on a l’habitude de voir, des gens qui vont aussi loin dans la souffrance. Le 50 km marche est selon moi l’une des épreuves les plus difficiles, et n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur.

Moi qui ai participé aux Jeux à Londres et à pas mal de 50 kilomètres, je peux vous dire que c’est à chaque fois comme ça. Là, les images sont peut-être un peu plus marquantes parce qu’il devait faire assez chaud [entre 25 et 30 degrés en fin de parcours]. Je sais que Yohann, pour l’avoir côtoyé, est quelqu’un capable de se faire très, très mal en compétition et à l’entraînement. Venant pour la médaille d’or, il était prêt à se faire très mal ce jour-là.

Mais à quel moment décide-t-on qu’il est trop dangereux de poursuivre ? Et qui doit faire ce choix ?

Je ne pense pas que cette responsabilité, dans un 50 km marche, puisse être mise dans les mains de l’athlète. Je ne suis pas sûr qu’à ce moment-là le cerveau soit capable de faire la part des choses entre se mettre en danger ou pas. Est-ce que je dois continuer ? Et si les sensations que j’ai n’étaient qu’une une barrière psychologique ? Est-ce que je suis déjà allé trop loin ? L’athlète ne peut pas faire la part des choses.

Dans ces cas-là, je sais que Yohann est encadré par un staff de kinés, de médecins qui sont sur le bord du circuit. Souvent, il a un kiné à la table de ravitaillement, et notamment, à Rio, Frédéric Fauquenoi, kiné de l’équipe de France. Donc je pense que c’est à eux, le staff, de prendre cette responsabilité-là. Yohann vient aux Jeux, il veut tout donner, il va peut-être au-delà de certaines limites. Après, je ne saurais pas vous dire quand est-ce qu’on peut dire stop ou s’arrêter. Là, visiblement, on lui a dit de s’arrêter, mais il a continué.

Après s’être arrêté à la mi-course, il est reparti. Commet peut-on l’expliquer ? Que se passe-t-il alors dans la tête ?

On a tout qui défile. Ce qu’on a fait à l’entraînement. Ce qu’on était venu chercher. Ce qui nous file entre les doigts. On est entre la souffrance qui nous dirait d’arrêter, et l’enjeu et l’événement qui font qu’on n’a vraiment pas envie de ne pas passer la ligne. D’autant plus que Yohann est un cas particulier. N’ayant jamais été classé aux Jeux olympiques lors de ses deux participations précédentes, je pense qu’au fond de lui c’était vraiment impossible d’arrêter et de ne pas se classer.

Dans la tête, tout se mélange. On est un peu sur pilote automatique. Les jambes avancent seules, souvent pas bien vite. C’est un gros brouillard. Pour être honnête, je n’ai jamais fini dans cet état-là, ça ne m’est jamais arrivé de m’évanouir sur un 50 kilomètres, parce que psychologiquement je ne suis pas capable d’aller chercher aussi loin dans mes ressources. J’avais peut-être une espèce de frein un peu plus important. Yohann, c’est une de ses qualités : dans des épreuves aussi difficiles, il faut savoir aller chercher dans ses ressources. Il a dû voir sa famille, ses enfants, sa femme, le staff, l’équipe de France. A mon avis, c’est ça qui l’a fait continuer. Toute la confiance qui avait été mise en lui, c’est peut-être ça qui l’a fait avancer.

Est-il parti trop vite ?

Ce n’est pas une question de vitesse. Les temps de passage étaient en deçà des rythmes auxquels il était habitué…

Mais par rapport à sa forme du jour et à la chaleur…

Quand vous prenez le départ, il n’y a pas un marcheur sur la ligne de départ qui n’a pas peur de l’événement. A cause de la distance, tous croisent les doigts pour que ça se passe bien, sinon ça va être l’enfer. Ses adversaires ont fait le choix de marcher ensemble à une allure plus modérée en attendant de voir ce qu’il se passe. Yohann a préféré prendre les choses en main. C’est sa spécialité, il est connu pour ça. Quand ça passe, il gagne. Quand ça ne passe pas, il arrive ce qui est arrivé aujourd’hui. Peut-être aurait-il été bon de faire un peu plus une course d’attente, mais ça ne veut pas dire qu’il aurait gagné. Il a tenté, l’a fait à l’instinct, ça n’a pas marché. Malgré tout ça, il finit huitième, c’est une belle performance vu les conditions et vu les événements.