Christophe Lemaitre, jeudi 18 août, au stade olympique de Rio. | FABRICE COFFRINI / AFP

Christophe Lemaitre est seul. La scène se passe au Club France, mercredi 10 août, à Rio de Janeiro, où certains membres de l’équipe d’athlétisme sont venus répondre aux sollicitations de la presse. Le sprinteur d’Aix-les-Bains, en Savoie, après avoir répondu à quelques questions, est laissé de côté. Son comparse Jimmy Vicaut, le recordman de France et d’Europe du 100 m, aimante les micros. L’image est cruelle pour l’ancienne coqueluche du sprint tricolore du début des années 2010. Si ce manque d’intérêt l’a dérangé, il n’en a rien laissé paraître. A 26 ans, Christophe ­Lemaitre est un garçon bien élevé, pas du genre à bouder lorsque les éléments sont contraires.

Le Français boude encore moins son plaisir quand le balancier se décide enfin à osciller en sa faveur. Alors, jeudi 18 août à Rio, au terme d’une finale du 200 m remportée par l’inévitable Jamaïcain Usain Bolt (19’’78), désormais ­octuple champion olympique et en course pour un neuvième titre avec le 4 × 100 m ­samedi, devant le Canadien Andre De Grasse (20’’02), il a savouré son inespérée troisième place (20’’12). Un podium arraché de haute lutte, grâce à un cassé époustouflant qui lui a permis de souffler trois millièmes de seconde au Britannique Adam Gemili.

« Juste incroyable »

Christophe Lemaitre a apprécié avec la satisfaction de celui qui en a longtemps bavé sans trop se plaindre. « Je pense qu’à part Bolt, qui ­serait dégoûté d’être en argent, tout le monde serait content d’avoir une médaille olympique, déclare-t-il à tous ces micros qui soudain se tournent de nouveau vers lui. C’est juste ­incroyable. » Il est le premier sprinteur tricolore à monter sur un podium olympique individuel depuis le bronze d’Abdoulaye Seye. C’était aux Jeux de Rome, en 1960, déjà sur le demi-tour de piste. C’est dire la performance du sprinteur d’Aix-les-Bains.

Pour être honnête, la probabilité avant le ­début des Jeux de Rio que le Français monte sur le podium du 200 m semblait aussi élevée que celle de Bolt de se contenter de l’argent. Et pourtant. Une demi-finale très convaincante, mercredi 17 août, avait esquissé certains espoirs. L’élimination surprise de l’Américain Justin Gatlin, vice-champion olympique sur 100 m à Rio, vice-champion du monde en titre et deuxième meilleure performance de l’année sur 200 m avant d’arriver aux Jeux, en a nourri davantage.

« Il faut d’abord courir pour soi, pour s’amuser. Et ce soir, je me suis bien amusé »

Reste qu’en finale, Christophe Lemaitre a dû « se déchirer jusqu’à la fin ». Il lui a fallu faire avec les moyens du bord. Avec un Bolt dans le couloir d’à côté qui l’a largué d’entrée : « Ça m’a tué. Je vois qu’il me dépasse très vite dans le virage. Je me dis : Punaise, ça pue, ça pue”. Je vois que je n’arrive pas à rattraper [le Néerlandais] Churandy Martina aussi vite que je l’espérais. Il fallait que je me libère si je voulais y arriver. » La libération vient dans l’ultime ­ligne droite, non sans effort. « Les jambes avaient du mal à enchaîner, j’avais du mal à les garder hautes. J’ai senti que j’étais moins fluide. J’ai dû batailler sur ça. » Jusqu’à ce cassé salvateur, donc.

Une dernière ligne droite ébouriffante que le décathlonien Kévin Mayer, médaillé d’argent quelques minutes plus tôt, a suivi à la télévision, alors qu’il répondait aux questions d’une chaîne cryptée. « J’ai crié parce que j’ai vu en ­direct qu’il remontait, explique Kévin Mayer. Christophe, ça faisait longtemps qu’on disait qu’il n’avait plus son finish exceptionnel d’avant, qu’il était fini. J’y ai toujours cru. Ça fait plaisir, ça va clouer le bec à énormément de personnes. C’est un bon type. Tout ce qui lui arrive là, il le mérite. Et ce n’est pas fini, pour lui aussi. »

Conforté dans ses choix

Un goût de revanche ? Christophe Lemaitre réfute le terme. Il préfère évoquer « une ­renaissance ». Et espère que ce ne sera « pas un one shot ». « Une résurrection » qui lui a rappelé son triplé (100 m, 200 m, 4 × 100 m) aux championnats d’Europe de Barcelone en 2010, à tout juste 20 ans. Ou sa médaille de bronze déjà sur le demi-tour de piste aux Mondiaux de Daegu (Corée du Sud) en 2011. Le temps des victoires, de l’insouciance et de la jeunesse. Précoce, Christophe Lemaitre a ensuite semblé vieillir plus vite que les autres. Quand sa foulée s’est crispée, les doutes ont commencé à l’envahir.

Ces deux dernières années, l’élève de Pierre Carraz n’arrivait plus à dominer la scène ­continentale qu’il survolait naguère de sa longue foulée. Aux Mondiaux de Pékin, en 2015, il avait été éliminé dès les demi-finales du 100 m et du 200 m. « L’année dernière, je voulais prouver aux autres que je pouvais être là et que je pouvais faire de grandes choses. Mais j’ai compris que ça ne servait à rien. Il faut d’abord courir pour soi, pour s’amuser. Et ce soir, je me suis bien amusé ! » Les membres de la délégation tricolore aussi, eux qui récoltent leur sixième médaille depuis le début des Jeux, le meilleur total en athlétisme depuis les JO de Londres, mais ceux de 1948 où Micheline ­Ostermeyer et ses condisciples étaient montés sur huit podiums.

« Courir pour ma gueule et pas pour les autres, c’est ça qui m’a réussi dans ce championnat »

La médaille de bronze de Christophe Lemaitre conforte le sprinteur dans ses choix, comme par exemple celui de rester avec le même entraîneur, Pierre Carraz. Combien de fois a-t-il reçu des conseils plus ou moins avisés lui suggérant de prendre un coach plus huppé, de quitter son cocon savoyard pour franchir un palier ? « Quand on est compétiteur, qu’on fait des contre-performances et qu’en plus on reçoit des critiques des gens, ça touche l’orgueil, reconnaît Christophe ­Lemaitre. Courir pour ma gueule et pas pour les autres, c’est ça qui m’a réussi dans ce championnat. »

« Courir pour sa gueule », peut-être, mais après la finale, le Français est venu consoler son concurrent britannique Gemili. « Si ça avait été moi, je serais dévasté. Je pense à la douleur qu’il doit ressentir. Ça doit être dur. » Dans les bons ou les mauvais moments, Christophe Lemaitre est décidément un garçon bien élevé.