L’Egyptien Islam El Shehaby (en bleu) a refusé de serrer la main de l’Israélien Or Sasson (en blanc) après sa défaite sur ippon, lors du combat de judo (+100 kg) qui les a opposés, aux Jeux olympiques de Rio, le 12 août 2016. | TORU HANAI / REUTERS

L’Egypte a finalement envoyé une lettre de félicitations à Israël en guise d’excuses pour le comportement du judoka Islam El Shehaby, qui avait refusé de serrer la main de son adversaire israélien. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas boudé son plaisir. Il a d’ailleurs rendu publique la missive égyptienne, le 17 août, en accueillant à Jérusalem, le judoka Or Sasson, médaillé de bronze.

Ce dernier avait battu son rival égyptien lslam El Shehaby, le 12 août, lors des 16e de finale de la catégorie des poids lours (+ 100kg) à Rio. L’attitude d’El Shehaby, contraire à l’esprit olympique, avait suscité une polémique mondiale. L’Egyptien n’a effectué le salut traditionnel (en s’insclinant légèrement) qu’après un rappel à l’ordre de l’arbitre.

« D’autres voix ont été entendues en Egypte », indique notamment la lettre qui entend rassurer Israël sur la volonté du gouvernement égyptien de normaliser les relations entre les deux pays, qui sont liés par un traité de paix depuis 1979.

Refus du boycott par les autorités sportives égyptiennes

Le président du Comité olympique égyptien, Hesham Mhoamed Tawfek Hatab, et le ministre de la jeunesse et des sports, Khaled Abdel Aziz, avaient résisté aux appels à boycotter le combat avec un adversaire israélien. Benyamin Nétanyahou n’a pas manqué de se féliciter devant la presse israélienne : « Ceci est très important au niveau des peuples. C’est un grand changement. »

L’Egyptien Islam El Shehaby (en bleu) esquive la poignée de main de son adversaire israélien Or Sasson (en blanc), après sa défaite, le 12 août 2016 à Rio. | Markus Schreiber / AP

En Egypte, un des rares médias à relayer le message de félicitations à Tel-Aviv n’est autre que le site du parti Liberté et Justice, le bras politique des Frères musulmans, ennemi numéro un du régime du maréchal Abdel Fattah Al Siss, depuis juillet 2013, date du renversement par l’armée de l’ancien président islamiste Mohamed Morsi. Les membres de la confrérie ne se privent pas de flatter le sentiment anti-israélien encore vivace parmi les Egyptiens, par défiance envers l’ancien ennemi et surtout par soutien à la cause palestinienne.

Dans ce tweet, un montage photo détourne la photo précèdente. Le président Abdel Fattah y salue le judoka israélien, avec ce commentaire:
« Ne te fâche pas, il est furieux parce qu’il a perdu. Mille félicitations et transmets mes salutations à tous les Israéliens! »

Depuis le traité de paix signé en 1979, la relation entre les deux peuples n’a rien d’amical. Aux yeux des Egyptiens, l’Etat hébreu reste perçu d’abord comme l’oppresseur des Palestiniens dont, de surcroît, la communauté internationale ne sanctionne jamais les exactions. Sur les réseaux sociaux, les internautes ont été nombreux à saluer le geste – ou plutôt l’absence de geste – de leur judoka. Le hashtag #Islam_El_Shehaby (en arabe) est rapidement arrivé en tête des trending topics (« sujets tendance ») des utilisateurs de Twitter en Egypte.

L’attitude du judoka égyptien enflamme Twitter

Certains n’hésitent pas à ironiser sur l’affliction exprimée par les soutiens d’Israël. « La paix ? Regardez qui parle de paix », se gausse une jeune Egyptienne sur Twitter en référence à une publication faisant de l’incident le symbole de l’hostilité des Arabes envers les Israéliens qui « depuis 68 ans ont tendu la main ».

Un autre internaute publie un dessin du judoka israélien arborant un kimono blanc maculé du sang des Palestiniens, comme pour dénoncer une indignation à géométrie variable sur l’éthique des JO. « El Shehaby a perdu le match mais il a gagné le respect des peuples », conclut pour sa part le présentateur populaire Youssef Al Hosiny sur Twitter.

D’autres considèrent en revanche que l’attitude du judoka égyptien « mérite d’être huée », dixit le célèbre blogueur The Big Pharaoh. « Les ministres des Affaires étrangères égyptien et israélien ont regardé le football ensemble, écrit-il. Mais le joueur de judo égyptien refuse de serrer la main de son rival israélien : résumé du traité de paix entre l’Egypte et Israël. »

« Que faire si l’on rencontre un israélien à l’étranger ? », s’interroge Nael El Toukhy, écrivain et traducteur de l’hébreu, sur le site d’information Mada Masr. Le romancier évoque un « moment de honte, surtout au regard de la jubilation exprimée par les médias israéliens ».

Dans ce long texte en arabe, Nael El Toukhy considère que le comportement d’Islam El Shehaby n’est que le résultat d’un discours national dominant en Egypte sur le boycott d’Israël, symptôme d’« une peur réelle des vaincus à regarder dans les yeux leurs ennemis ». Dans ce contexte, « ce qui devait théoriquement être un moment courageux contre l’entité sioniste devient un instant de honte nationale et de haine de soi ».

Le comportement d’Islam El Shehaby a provoqué le malaise des autorités égyptiennes, qui se sont lancées depuis plusieurs mois dans un processus de rapprochement avec Tel-Aviv. Le Caire cherche à soigner son image de médiateur incontournable dans le cadre du conflit israélo-palestinien.

Coopération israélienne contre l’EI dans le Sinaï

Surtout, l’Egypte a besoin de la coopération d’Israël dans le Sinaï, au nord du pays, où l’armée mène loin du regard des médias une lutte contre l’organisation Etat islamique. En juillet, le ministre des Affaires étrangères égyptien Sameh Shoukry s’est même rendu en Israël : la première visite officielle chez ce voisin controversé depuis neuf ans.

L’étroite collaboration entre Israël et le régime égyptien n’empêche pas ce dernier d’agiter, à l’occasion, le sentiment anti-israélien. En mars dernier, le parlement a voté à la quasi-unanimité la révocation du député Tawfiq Okasha, officiellement pour avoir invité l’ancien ambassadeur d’Israël à dîner. Mais plusieurs députés ont révélé que ce prétexte cachait mal la volonté d’évincer une personnalité politique trop critique à l’égard des proches du président.