« Dans quelques jours, je vais commencer mon stage au sein d’un restaurant étoilé dans le Jura. Je suis très content. Je suis persuadé que cette formation reconnue va m’ouvrir des portes » témoigne Mouafak El-Halabi, 38 ans, actuellement en train d’achever sa formation de commis à Besançon dans une des écoles Cuisine mode d’emploi. Après quelques années dans le commerce, il avait été contraint de s’arrêter pour m’occuper de sa mère malade. C’est Pôle emploi et le bouche à oreille qui l’ont conduit à l’école de Thierry Marx.

Thierry Marx et ses stagiaires à l’antenne Cuisine mode d’emploi de Besançon. | D.R.

En 2011, le chef étoilé qui avait quitté la région bordelaise pour prendre la tête du Mandarin oriental à Paris, décide alors de reproduire, mais de façon encore plus professionnalisante, l’Atelier de cuisine nomade, un concept qu’il avait lancé en 2009 à Blanquefort, près de Bordeaux qui consistait à proposer des formations courtes à des personnes en difficulté sociale ayant comme projet d’ouvrir un concept de cuisine de rue. C’est ainsi qu’en mai 2012, avec l’aide de Frédérique Calandra, maire du 20ème arrondissement de Paris, le quartier où il a passé son enfance, il lance l’école Cuisine mode d’emploi(s) (CME) avec une première session de commis de cuisine. Depuis, le concept de Cuisine mode d’emploi qui consiste à offrir une formation rapide, efficace, qualifiante et gratuite dans les métiers de la restauration, aligne les succès.

« Une vraie volonté de transmission »

La formation se déroule en deux temps : 8 semaines de formation théorique et pratique à l’école et 4 semaines de stage en entreprise. A l’issue de la formation, les stagiaires obtiennent un certification de qualification professionnelle (CQP) reconnu par la profession et par l’Etat.« Thierry Marx a conçu l’ingénierie de ce programme qui est comparable à un CAP mais de façon resserrée et intensive. Cette formation se base sur trois critères : rigueur, engagement, régularité » indique Véronique Carrion, co-fondatrice et gestionnaire de Cuisine mode d’emploi(s) à Paris. « J’ai apprécié le fait qu’elle soit courte, explique Mouafak El-Halabi. C’est intensif car on fait en 8 semaines ce que l’on fait habituellement en 1 ou 2 ans en CAP. Cela représente pas mal de travail personnel le soir, mais obtenir un certificat à la fin est valorisant ».

La formation est totalement gratuite pour les stagiaires. CME est financée à 20% par des fonds publics (ville et Etat), à 30% par des fonds privés (mécénat, fondations d’entreprise) et à 50% grâce l’auto-financement (accueil au restaurant d’application, événementiel…). Pour Doriane Dostert, 24 ans, une des premières stagiaires de CME à Paris, la gratuité de la formation a été déterminante. « Le fait qu’elle soit courte et gratuite était parfait pour moi, car je ne pouvais pas me permettre de me payer un CAP pendant un an, dit-elle. J’en garde un excellent souvenir. On m’a appris le sens de la rigueur et de la droiture. Cela demande un vrai engagement mais en échange, on apprend beaucoup de techniques, on travaille sur de beaux produits et il y a une vraie volonté de transmission. J’ai également apprécié la diversité des stagiaires, de 16 à 60 ans. Chacun arrivait avec son parcours professionnel, ses difficultés, mais la cuisine nous a tous réunis ».

Priorité au public éloigné de l’emploi

Comme à Bordeaux, cette formation est destinée en priorité à des adultes éloignés de l’emploi : jeunes sans diplôme, demandeurs d’emplois, personnes en reconversion professionnelle. Les stagiaires apprennent  80 gestes de base et 90 recettes, sans oublier des règles d’hygiène et la gestion des coûts.

Lors des appels à candidatures, ils s’appuient sur Pôle emploi, les missions locales, les structures sociales assurant le suivi des bénéficiaires du RSA et l’administration pénitentiaire. « 10% de nos stagiaires sont d’anciens détenus, précise la gestionnaire de CME. Nous travaillons en étroite collaboration avec les commissions de probation » . Les sessions sont les plus mixtes possibles en terme de sexe, d’âge, d’horizons professionnels, etc. « La moyenne d’âge de nos stagiaires est de 35 ans. Nous avons également pas mal de quadras et de quinquas ».

Si les CAP, écoles hôtelières ou centres de formation n’ont pas toujours vu d’un bon œil cette initiative, la méfiance ne semble plus trop de mise. « Ils se sont rendu compte que nous ne visions pas les mêmes publics, estime Véronique Carrion. Nous comblons un vide interstitiel pour les publics éloignés de l’emploi. Nous accueillons des personnes de tous les horizons professionnels : bâtiment, commerce, plomberie, communication, et même des journalistes indépendants ! ».

La sélection s’effectue en deux étapes. Tout candidat doit envoyer un CV et une lettre de motivation par Internet.  « Ceci nous permet de vérifier que leur motivation est réelle. Nous nous assurons de leur volonté d’apprendre la cuisine dans un but professionnel et non de loisirs. Nous écartons également les candidats qui expriment un peu trop de fantasmes liés à la médiatisation des métiers de bouche » .

Gratifiant pour tout le monde 

Une fois cette étape franchie, les candidats sont reçus en entretien individuel.  « On leur pose deux questions :pourquoi avoir choisi cette formation ?” etsi vous êtes retenu(e), comment voyez-vous votre avenir professionnel d’ici 2 ans ?”, » explique Véronique Carrion. « Beaucoup évoquent la volonté d’ouvrir leur propre restaurant. Ce ne sera pas forcément le cas car cela nécessite des notions de gestion, des financements…dont ils ne disposent pas toujours mais leur candidature est validée si nous sentons qu’ils se projettent dans la profession ».

« La transformation de nos stagiaires au fil des semaines est flagrante, constate Céline Quinquenel, responsable de l’école de Besançon. C’est gratifiant pour tout le monde ». Déscolarisée à 15 ans, Doriane avait enchaîné les petits boulots, après avoir obtenu son bac en candidate libre. Après son stage au Mandarin oriental, elle est restée 18 mois. De commis de cuisine, elle est devenue demi chef de partie. Fin 2015, Thierry Marx lui a proposé de devenir responsable de cuisine de la boulangerie qu’il a ouverte à Paris, dans le quartier de Saint Augustin.

A l’issue de la période de formation, les diplômés bénéficient d’un accompagnement vers l’emploi par le pôle hôtellerie-restauration du groupe ADECCO et d’un large réseau de restaurateurs et de boulangers. Ils peuvent travailler dans différents domaines : restaurants gastronomiques, bistrots, traiteurs, collectivités, etc. « Sur les 500 stagiaires formés, 94% ont trouvé un emploi dans les deux mois, indique Véronique Carrion. Les 6% restants sont essentiellement ceux dont on a du mal à avoir des nouvelles et d’éventuelles récidives chez les anciens détenus. Nous avons très peu d’abandons. Nous avons eu quelques cas d’exclusion à gérer lorsque l’on estimait que la personne n’était pas assez engagée, ou en raison de problèmes de comportement ou d’absentéisme ».

Pour rappel, la restauration et la boulangerie sont des secteurs sous pression et structurellement créateurs d’emplois : on estime à 50 000 le nombre d’offres non pourvues en restauration et à 20 000 en boulangerie.

200 candidatures par session

En moyenne, Cuisine mode d’emploi reçoit entre 150 et 200 candidatures par session, 50 personnes sont convoquées en entretien et une dizaine sont finalement retenues. « Au départ, nous proposions seulement quelques sessions de cuisine par an, mais très vite nous avons été surpris par le succès rencontré. Nous avons alors décidé de déménager en septembre 2013, toujours dans le 20ème arrondissement, mais dans des locaux plus spacieux pour pouvoir proposer davantage de sessions cuisine, puis nous avons ouvert une session boulangerie, et enfin une formation de service en salle, option sommellerie ». Actuellement, à Paris, il y a 4 sessions en parallèle, soit entre 35 et 40 stagiaires, avec 5 rotations par an. La labellisation obtenue dans le cadre de l’appel à projets national « La France s’engage » en 2014 a donné un beau coup de projecteur à cette initiative.

Ensuite, Thierry Marx a décidé d’essaimer le concept en province, lorsqu’il sentait qu’il y avait des débouchés et une vraie volonté des élus et des professionnels. Une antenne a ainsi été créée à Villeneuve-Loubet (près de Nice) en janvier 2016 et une autre à Besançon, inaugurée en avril 2016 sur l’ancien site de Lip. Marseille devrait voir son école ouvrir en novembre. Pour l’Euro 2016, des sessions éphémères avaient été lancées dans les dix villes hôtes. « D’ici 2 à 3 ans, nous espérons avoir plus de 10 écoles opérationnelles, 3 ou 4 supplémentaires en Ile-de-France et d’autres en province (Dijon, Toulouse, Lyon, …) » indique Véronique Carrion.