C’est l’une des scènes auxquelles le tribunal correctionnel de Bastia a appris à s’habituer : des CRS en nombre, des caméras de télévision et une foule massée devant les grilles du palais de justice. En l’occurrence, 300 personnes venues soutenir les deux habitants de Sisco (Haute-Corse) qui comparaissaient jeudi 18 août après les incidents survenus samedi 13 août dans cette petite station balnéaire du nord de l’île.

Dans la minuscule salle d’audience, bois clair et hautes fenêtres, seule une cinquantaine de personnes a été autorisée à s’installer sur les bancs où se sont également assis, contre le mur du fond, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, respectivement président du conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse, omniprésents depuis le début de l’affaire.

Dans le box, cinq prévenus sont séparés par une escorte de gendarmes. Côté gauche, les trois frères B. doivent répondre de « violences en réunion » et de « menaces » pour avoir, selon le procureur de la République de Bastia, Nicolas Bessone, « voulu s’accaparer une plage, menacé à peu près tout le monde et agressé plusieurs personnes ». Le premier, sept fois condamné, porte des lunettes de soleil en raison de « problèmes dans les yeux ». Affalé dans le box, le deuxième, barbe touffue et tee-shirt vert fluo, est tancé par la présidente : « Redressez-vous, monsieur ! » Derrière eux, le troisième semble étranger à la scène. Manque – surprise – un quatrième frère. En situation irrégulière, il a dupé les enquêteurs en endossant une fausse identité lors de son audition. Il est, selon la formule consacrée, « activement recherché ».

Coups et insultes

Côté droit du box, regard fixe et carrure de rugbyman, le boulanger de Sisco. Déjà condamné en 2005 dans une affaire de chantage, il a asséné « un coup de poing à l’un des agresseurs, qui se trouvait sur un brancard ». Comme lui, un agent de mairie de 22 ans, comparaît pour « violences en réunion ». « Pas vraiment le Cercle des poètes disparus », ironise le ministère public, qui ne s’attarde guère sur les faits : à la demande des deux avocats des frères d’origine maghrébine, Mes Anaïs Colombani et Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini, le procès est renvoyé au 15 septembre.

Le premier frère est placé en détention, les quatre autres prévenus ressortent libres sous contrôle judiciaire. Au sortir d’une audience expédiée le temps de satisfaire aux exigences de la procédure, c’est à peine si le son de leurs voix a franchi la vitre blindée du box.

Dehors, des cris de victoire accueillent les deux insulaires désormais libres puis se transforment en insultes et en coups lorsque apparaissent les caméras des chaînes d’information en continu. Accusés de « désinformation » depuis la diffusion, lundi 15 août au soir, d’un reportage accréditant la thèse d’une agression raciste – un témoin anonyme s’est révélé être l’un des frères – des journalistes sont bousculés, jusqu’à l’intervention musclée de MM. Talamoni et Simeoni. Entourés d’une dizaine de militants nationalistes aguerris, les élus s’interposent physiquement et parviennent à grand-peine à ramener le calme, rejoints par l’un des prévenus qui remercie la foule et lui demande de quitter les lieux « sans débordements ».

Des débordements, les autorités locales en redoutent désormais dans une île où, dixit un responsable de l’ordre public, « une étincelle peut faire péter le baril de poudre ». Loin de ces contingences, Ange-Pierre Vivoni, le maire (PS) de Sisco, a – presque – déjà oublié la polémique qui a suivi l’arrêté « antiburkini » signé de sa main lundi 15 août : « On n’a plus de pain depuis deux jours et les gens commencent à râler. »