Des réfugiés installés dans le gymnase de Saint-Mard (Seine-et-Marne), le 5 août. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Il y a un avant et un après. Daniel Dometz, maire (LR) de Saint-Mard, commune de 3 800 habitants en Seine-et-Marne, ne l’avoue pas, mais son regard et celui de la population semblent avoir changé depuis que sa ville a dû, contrainte et forcée, accueillir 200 migrants dans son gymnase flambant neuf. Le 22 juillet au matin, la préfecture de région avait fait démanteler un campement installé sous le métro aérien à Paris. Craignant un afflux de migrants attirés par la rumeur d’une évacuation – promesse d’un hébergement –, elle avait repéré quatre gymnases pouvant être réquisitionnés, deux à Paris, un dans les Yvelines et un en Seine-et-Marne.

« Vous recevez un coup de fil de la préfecture, le mercredi à midi moins cinq, qui envisage de reloger des migrants dans le gymnase pour un mois, raconte aujourd’hui le maire de Saint-Mard. J’ai dit non, la structure n’est pas climatisée et je suis en charge de la sécurité de mes administrés. Je me suis bagarré, j’ai demandé des délais pour préparer les lieux et informer la population, je n’ai pas eu le choix. J’ai reçu l’avis de réquisition le jeudi 21, et les cars de migrants sont arrivés vendredi 22 au matin. »

« Faire quelque chose de bien pour l’humanité »

Le lendemain, le maire doit, lors d’une réunion publique organisée devant l’hôtel de ville, faire face à une cinquantaine d’habitants, plutôt vindicatifs, comme en témoigne une vidéo mise en ligne par le site Magjournal77 : « La facture d’eau, d’électricité ? Ce n’est pas un hôtel ! Hier, je suis passé à une heure du matin, tout est allumé : c’est Versailles ! Qui paye ? », interroge un homme. « Vous les mettez au Champ-de-Mars, y a de la place au Champ-de-Mars… Pourquoi chez nous ? », lance une habitante en colère au directeur départemental de la cohésion sociale, Philippe Sibeud, venu en renfort et qui, dans le brouhaha, rappelle les engagements internationaux de la France et de l’Europe, et explique que le groupe va très vite diminuer, au fil des relogements.

Rien n’y fait : « Et les SDF qui sont dehors, on ne s’en occupe pas ! », interpelle une habitante, qui s’inquiète également : « Qui va tourner, qui va surveiller ? Moi j’habite un endroit, les huit pavillons vont être fermés. On fait comment ? On part pas en vacances, alors ? » « Y a des inquiétudes, au niveau de la communauté féminine, que ce soit 200 hommes ! Quand on sait ce qui s’est passé en Allemagne… », s’alarme une jeune femme, qui demande des renforts de gendarmerie. Seule voix discordante, une discrète jeune fille, interviewée par Magjournal77, s’insurge contre le ton négatif du maire et de la population et voit, pour son « village insignifiant, l’occasion de faire quelque chose de bien pour l’humanité ».

« Je dois reconnaître qu’il ne s’est rien passé, que ces gens se sont bien comportés »

Un mois plus tard, à cinq jours de l’échéance du 22 août, ils ne sont plus qu’une vingtaine de migrants sur place, puisque beaucoup ont été répartis dans des centres d’hébergement ou des logements en province, et 80 relogés dans des HLM vacants, à Bray-sur-Seine (Seine-et-Marne). « Je dois reconnaître qu’il ne s’est rien passé, que ces gens se sont bien comportés. L’association La Rose des vents, qui les encadrait, a très bien géré la situation », se félicite Daniel Dometz, qui est d’ailleurs passé tous les jours au gymnase et a prodigué des aides multiples, dont la visite d’un médecin ou la fourniture de 80 paires de chaussures, grâce à la Croix-Rouge dont il est le président à l’échelon local. « Il n’y a pas eu beaucoup de contacts avec la population, mais c’est très apaisé », confirme Estelle Butez, responsable de La Rose des vents.

« Beaucoup de générosité »

Le jeune maire (LR) de Maurepas (Yvelines), Grégory Garestier, a été mis dans la même situation d’accueillir une centaine de migrants en son gymnase. Pas non plus très partant, il avait immédiatement protesté, dans un communiqué de presse du 21 juillet, contre « l’apparente improvisation de l’Etat ». Un mois plus tard, il tire un premier bilan : « L’association Habitat et humanisme a fait preuve d’un grand professionnalisme et il n’y a eu aucun incident. Nous avons répondu à leurs besoins, par exemple d’installer des points d’eau extérieurs, confie-t-il. Je n’avais jamais été confronté à une telle situation et la vivre au quotidien, avec des gens face à soi, c’est très différent de ce que l’on voit dans les médias. Maintenant, je me demande ce qu’ils vont devenir et cela me fait réfléchir sur notre politique nationale d’accueil des migrants. »

« Il y a bien eu, au début, quelques regards méfiants des riverains derrière leurs fenêtres, se souvient Isabelle Maurette, de l’association gestionnaire issue d’Habitat et humanisme, mais les habitants ont fait preuve de beaucoup de générosité. Nous avons, par exemple, eu besoin d’eau minérale : une pleine palette est arrivée dès le lendemain apportée par l’un d’eux… » « Une collecte a permis d’acheter des chaussures d’été ; des vêtements ont été offerts. L’après-midi, des voisins sont venus proposer des jeux, des activités, et des contacts se sont noués », se réjouit-elle.

Dans les associations accompagnatrices, circulent de nombreuses histoires similaires, survenues à Suresnes (Hauts-de-Seine), Lagny (Seine-et-Marne), Gonesse (Val-d’Oise) lors de réquisitions précédentes. C’est sans doute la raison pour laquelle elles arrivent dans ces communes en toute discrétion, sans informer la population, faisant le pari qu’une cohabitation sera possible.