Les ruines du quartier Bab al-Hadid à Alep, détenu par les rebelles, le 18 août. | ABDALRHMAN ISMAIL / REUTERS

Les environs d’Alep sont le théâtre d’âpres combats entre les forces de Damas et les rebelles. Dans cette ville-clé du conflit syrien, coupée en deux depuis 2012, des centaines de milliers de civils sont pris au piège et souffrent d’importantes pénuries. Dans les faubourgs insurgés, les bombardements du régime sont quotidiens.

Deux jeunes Syriens originaires d’Alep posent leur regard sur la ville divisée. De passage à Beyrouth, Joudy, 28 ans, a été rendre visite à sa famille qui vit dans l’ouest de la commune, sous contrôle gouvernemental – entre 1 et 1,5 million d’habitants, dont près de la moitié sont des déplacés. Il a quitté la ville peu avant que l’opposition ne prenne le contrôle de la route de Ramoussah [il s’agissait jusqu’au 6 août du principal accès vers les quartiers occidentaux].

« Quand notre véhicule est parvenu à cette intersection, nous nous sommes couchés, pour éviter les tirs de snipers. Les violences se sont intensifiées à partir de la fin du ramadan [début juillet]. Sur place, ma famille vit les évènements en cours au jour le jour, sans se demander s’il s’agit d’un tournant. »

Dans l’ouest d’Alep, les check-points et les barrages volants sont devenus légion. « L’armée effectue aussi des contrôles dans les maisons, je pense qu’ils cherchent les jeunes hommes pour les enrôler de force. Les familles d’Alep ne veulent pas que leurs fils rejoignent l’armée, elles ne veulent pas les voir mourir », raconte Joudy.

Inflation faramineuse, inquiétudes quotidiennes pour leurs proches, incertitudes : la population est sur le qui-vive. « Les Alépins continuent à chuchoter quand ils parlent de politique. Ils savent qu’ils peuvent être arrêtés ou interdits de quitter le territoire, aux frontières », assure-t-il.

« Les gens sont épuisés, par les privations en eau et en électricité, par l’angoisse pour leurs proches, par le fait de ne pas savoir quand la guerre finira. Paradoxalement, le nombre de cafés populaires a explosé ; les hommes y tuent le temps. La nuit, on entend le bruit des avions qui bombardent l’autre partie d’Alep. On devient coutumier de chaque son – un obus, un mortier… On sait si c’est près ou loin. Une fois, deux obus se sont abattus sur le toit de la maison de mes grands-parents. Depuis, je les sens plus inquiets. »

Quand la révolution a commencé, Joudy la soutenait, réclamant le départ de Bachar Al-Assad. Les derniers événements ont eu raison de ses convictions : « Aujourd’hui, je préfère qu’il reste, au moins pour une période de transition, car je déteste les groupes radicaux présents dans les zones sous contrôle de l’opposition. Le Front Al-Nosra [désormais Front Fatah Al-Sham] m’inquiète autant que l’organisation Etat islamique [EI]. »

Joudy compte repartir d’ici quelques jours vers Alep pour célébrer l’Aïd el-Kébir [le 12 septembre] avec sa famille. « Je n’ai qu’une peur : qu’on se retrouve assiégés. »

Un quotidien rythmé par les bombardements

Directeur d’un centre communautaire dans l’est d’Alep, sous contrôle rebelle, Bakri Azzin, 28 ans, raconte un quotidien ponctué de violences.

« Il y a quelques jours, une bombe baril a explosé près de mon domicile, vers minuit. Je suis sorti pour secourir les blessés, puis je suis allé passer la nuit chez des amis, incapable de fermer l’œil. Le son de cette explosion me hantait. Le lendemain, je suis retourné chez moi pour voir l’étendue des dégâts. Des personnes m’ont aidé à dégager les débris : des gens pauvres, sans travail, collectent ainsi un peu d’argent. »

Depuis la fin du siège [brisé le 6 août par les rebelles] de ces quartiers par le régime, les bombardements aériens ont redoublé en intensité. De nombreux civils ont alors élu domicile dans des refuges, dans les sous-sols alors que des familles ont fui vers la campagne d’Idlib, le fief de l’opposition. « Les avions du régime et de la Russie pilonnent aussi cette zone, mais cela leur évite la promiscuité des abris. Certains sont aussi partis en anticipant une intensification des combats. La route pour sortir, via Ramoussah, n’est pas sécurisée », regrette M. Azzin.

La vie quotidienne est chamboulée, la nourriture restant insuffisante, malgré l’arrivée de produits frais. A cela, il faut ajouter « une dizaine de check-points dans nos quartiers » et des contrôles la nuit. « Je pense qu’ils craignent des espions du régime ou des infiltrations de l’EI. » Avec ses amis qu’il retrouve le soir, ils cherchent des moyens d’aider les civils.

Originaire d’un quartier de l’ouest d’Alep, qu’il a fui fin 2012, par crainte d’être arrêté en tant que militant anti-Assad, il continue de communiquer avec sa famille restée la-bas. « Les civils y sont plus en sécurité. Il suffit de regarder des images d’Alep pour voir qui s’acharne contre les zones civiles : les Russes et le régime, contre l’est. »

M. Azzin reste mitigé quant à une amélioration de la situation : « Je reste convaincu que le Front Fatah Al-Cham [principal artisan des dernières avancées rebelles] peut être différent de ce qu’il a été comme Front Al-Nosra affilié à Al-Qaida. Si le régime reprend l’est d’Alep, cela provoquera un nouveau déplacement massif de civils vers les régions sous contrôle de l’opposition ou vers l’étranger. Cela me paraît toutefois peu probable. Mais je crois que les violences vont s’intensifier. »

Comprendre la situation en Syrie en 6 minutes
Durée : 05:29
Images : Le Monde