Documents, photos, status, vêtements, objets connectés, puces RGID sous-cutanées, dispositifs biométriques de nos ordinateurs et smartphones… Aujourd’hui, nos traces identitaires sont partout. La réputation aussi : la notion de réputation en ligne n’est plus seulement employée en marketing ou en communication. « Elle est intégrée à des offres d’assurance aux particuliers, elle est mise en avant comme un risque à gérer pour les jeunes internautes, elle bénéficie de formations dédiées, elle est discutée pour l’élaboration de certaines normes, voire permet de réguler certains pans de nos économies », détaille Camille Alloing qui, dans [E]:réputation analyse cet objet hybride, encore peu discuté dans la recherche française.

D.R.

« Plus qu’une simple question sémantique ou conceptuelle, l’e-réputation soulève des problématiques stratégiques pour les organisations », souligne la maître de conférences en sciences de l’information à l’IAE de l’Université de Poitiers. Le livre est en partie issu d’une recherche doctorale menée au sein du groupe La Poste pendant trois ans. Comme de nombreuses entreprises, la Poste a engagé une démarche pour mieux appréhender le Web et les médias sociaux. Les questions ont été multiples : comment se diffusent les opinions sur le Web ? Comment les mesurer ? Une organisation peut-elle vraiment agir sur cet agencement d’opinions venant former une réputation ?

Une approche résistance aux effets de mode

L’auteur commence par synthétiser les thèmes inhérents à l’analyse du phénomène réputationnel, du Web 2.0 à ses dispositifs centraux, comme Twitter ou encore les moteurs de recherche, pour ensuite établir un cadre d’analyse de la réputation des organisations. Il ne s’agit pas de proposer un modèle universel d’analyse ou de gestion de la réputation en ligne, « mais bien une approche qui se veut résistante aux effets de mode managériaux, et dont les fondements théoriques prennent en compte les constantes évolutions des usages et des technologies sans pour autant se laisser diriger par elles. »

L’ouvrage soulève des questions éthiques, comme celle du digital labor, c’est-à-dire l’idée selon laquelle certaines actions quotidiennes d’un internaute peuvent être associées à une forme de travail car génératrices de valeurs. Lorsqu’une organisation incite ses publics à produire des contenus liés à sa marque, à « liker » une page Facebook, elle ne les rémunère pas ensuite, alors qu’elle va transformer cette activité en externalité financière. « Les différentes formes de capitalisme qui se déploient sur le Web reposent sur un même constat : il faut que l’usager travaille pour que les plate-formes puissent ensuite dégager des bénéfices en exploitant ce travail ».

Finalement, l’e-réputation n’est qu’un point de départ pour mieux interroger le numérique, ses usages et ses dispositifs, à la fois sous un angle technique, individuel et économique. Comme le souligne dans la post-face de l’ouvrage Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information et la communication à l’Université de Nantes: « Demain, la rationalité calculatoire et statistique, en faisant son entrée dans un certain nombre de secteurs jusqu’ici considérés comme régaliens (santé, éducation, transport) va calquer à ces environnements des logiques réputationnelles aussi opaques que discutables, et générer des injustices et des inégalités réputationnelles dont les actuels débats autour du “droit à l’oubli” ne constituent que le tiède avant-goût ». Interroger aujourd’hui l’e-réputation, c’est interroger les pratiques de demain.

[E]: réputation - médiation, calcul, émotion, de Camille Alloing, CNRS éditions, 288 pages, 25 euros.