Contrairement à la France, où 99 % des naissances ont lieu à l’hôpital, les Pays-Bas ont préservé la tradition des accouchements à domicile, qui concerne aujourd’hui une femme sur six. Même à l’hôpital, le recours à l’anesthésie péridurale reste marginal (18 %, contre 76 % en France). Franka Cadée, responsable des échanges internationaux à l’Association royale des sages-femmes néerlandaises (KNOV), tente de préserver ce système traditionnel et de le faire reconnaître en Europe.

Vous organisez des stages d’été pour faire découvrir le modèle néerlandais aux sages-femmes étrangères. Que leur enseignez-vous ?

Ces stages ont été créés il y a trois ans, et sont réservés aux professionnels déjà expérimentés, qui passent deux semaines en immersion avec des sages-femmes néerlandaises volontaires. C’est bien qu’elles viennent voir en vrai, car parfois, les gens ont une vision irréaliste, très romantique, de naissance à la lueur des bougies… Mais ici, l’accouchement à domicile n’est pas un projet alternatif, c’est juste normal.

Pourquoi les accouchements à domicile sont-ils encore nombreux aux Pays-Bas ?

En tant que sage-femme, j’ai réalisé plus de 1 500 accouchements à domicile. L’atmosphère est différente, plus calme, tranquille… mais jamais nous ne prenons un risque. La naissance prend tellement de temps, on a toujours le temps de choisir l’hôpital. Il y a d’ailleurs une règle : il faut être sûr de pouvoir être en moins de quarante-cinq minutes dans la salle de naissance d’une maternité. Nous sommes un petit pays, très plat, sans montagne et très bien organisé. Il est très facile de circuler comme on le souhaite, on est toujours près d’un hôpital, sauf dans quelques régions insulaires. Là, à cause de l’éloignement, des maisons de naissance ont été créées, pour être plus proches des maternités.

Mais toutes les femmes ne peuvent pas accoucher à domicile pour des raisons médicales. Je suis inquiète quand je vois des femmes qui veulent une naissance chez elles à tout prix, quitte à se mettre en danger ou à tenter d’accoucher seules, ce qui est insensé. Aux Pays Bas, les hôpitaux sont de bonne qualité, il n’y a pas de raison d’en avoir peur. Mais même les gynécologues obstétriciens sont plus versés dans la physiologie qu’ailleurs et promeuvent un accouchement naturel.

Dans notre culture calviniste, c’est accepté : donner la vie fait mal.

En France, la péridurale est devenue la norme pour limiter les douleurs de l’accouchement. N’est-ce pas aussi une demande des femmes néerlandaises ?

Dans notre culture calviniste, c’est accepté : donner la vie fait mal. Mais dans la langue néerlandaise, nous avons deux expressions différentes pour signifier « avoir mal », la douleur normale que l’on peut soulager, et « souffrir ». Lorsque l’on atteint un stade traumatique, alors nous donnons des antidouleurs. Si une femme me dit « je vais mourir », alors que le col commence tout juste à s’ouvrir, et que l’accouchement vient de débuter, je m’inquiète. Si le bébé est prêt à sortir, je me contente de sourire, car c’est le signe normal que le travail touche à sa fin.

Le taux d’accouchement à domicile est en baisse depuis quelques années (29 % en 2005, 16 % aujourd’hui). Comment l’expliquez-vous ?

Il y a quelques années, des études européennes ont montré que le taux de périmortalité n’était plus si bon aux Pays-Bas, comparé à celui de la Suède par exemple, et les médias ont incriminé la naissance à domicile. En fait, des recherches ont démontré par la suite qu’elles étaient aussi sûres que les autres. Le problème venait surtout d’une difficulté de travail en équipe et d’un manque d’échographies. De nouvelles règles ont été établies pour rendre obligatoires une échographie à douze semaines, une autre à vingt pour les malformations, et il y a de plus en plus souvent une troisième autour de la trentième semaine pour surveiller la croissance du bébé. Par ailleurs, on note un changement de culture dans la population, avec davantage d’inquiétudes. Parfois, les femmes choisissent l’hôpital pour de mauvaises raisons, parce qu’elles pensent (ou leur mari, d’ailleurs) qu’elles y seront plus en sécurité, même si rien ne le prouve.

Pourquoi promouvoir la naissance à domicile ? Est-ce une question de coût ?

L’accouchement à la maison coûte environ 1 300 euros, en incluant le suivi pré et postnatal par une sage-femme indépendante. A l’hôpital, il faut ajouter le prix de la chambre, du personnel, soit environ 1 000 euros. Mais pour les femmes, c’est souvent le même tarif, car les soins liés à la maternité sont remboursés dans tous les contrats de base des assurances de santé.

Lors d’un accouchement normal, les femmes restent seulement quatre heures à l’hôpital, et trois jours en moyenne pour une césarienne. C’est peu. Ensuite, des aides-soignantes spécialisées, appelées kraamzorg, prennent le relais à domicile. Les bébés en bonne santé ne voient pas de pédiatre à la naissance. Les sages-femmes passent tous les jours ou tous les deux jours, 4 ou 5 fois en tout. Les kraamzorg sont beaucoup plus présentes, 49 heures pour un accouchement normal, et jusqu’à 80 heures s’il y a un souci médical ou social, mais les sages-femmes restent responsables en cas de problème.

Accoucher autrement en 2016

Une petite révolution s’est opérée en 2016 pour les futures mamans : il est désormais possible d’accoucher dans des maisons de naissance, qui sont à mi-chemin entre l’hôpital et le domicile. Une expérimentation a été lancée pour cinq ans dans neuf structures en métropole et dans les DOM.

A cette occasion, nous avons souhaité réaliser un état des lieux de la naissance et de ses questionnements. Retrouvez ici tous les articles de notre dossier :