Quoi ? C’est fini ? Mais qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? Après nous avoir ballottés dans tous les sens pendant quinze jours, la lessiveuse olympique a cessé de tourner, et nous a recraché dans la nature, étourdis, déjà nostalgiques. Rio 2016, c’est terminé. Qu’en retiendra-t-on, à part les courses, les combats, les matchs et les médailles ? L’orgie de sport s’achève, l’orgie de souvenirs débute. Pendant les Jeux olympiques de Rio…

….on a vu un dentiste brésilien tenter de remettre une statuette d’Usain Bolt à Usain Bolt.

On s’est demandé ce qu’on foutait là quand on a découvert l’immense self-service réservé aux journalistes, ses tables Coca-Cola, ses hamburgers immangeables.

On a compris ce qu’on foutait là le surlendemain, après avoir entendu les premiers cris et vu les premières larmes.

On a vu ce à quoi pouvait ressembler la circulation un jour de match autour du Maracana.

On a vu des chauffeurs de taxi qu’on essayait d’attraper joindre leur pouce et les quatre autres doigts de la main comme pour nous dire de nous taire. « Camembert » en carioca ? Que nenni. Cela signifie juste que le taxi est déjà occupé.

On a compris qu’on devait partir le matin avec un pull malgré les 35 degrés, sans quoi l’on tomberait malade en vingt-quatre heures avec la climatisation des stades, des salles de presse, des taxis, des navettes, des centres commerciaux, du Brésil.

On a vu Claude Onesta s’en griller une à l’extérieur de l’Arena do Futuro, assis sur un bloc de béton, en attendant le bus pour le village olympique après la finale perdue face au Danemark.

On a vu le coach de Renaud Lavillenie se faire recaler comme un malpropre de l’entrée de la zone mixte par un chien de garde psychorigide du CIO muni d’une oreillette. L’interview se fera, lui les pieds de l’autre côté d’une barrière métallique, nous dans la zone interdite. Soirée de merde.

On a pleuré avec Neymar.

21 août 2016
Durée : 00:26

On a vu un journaliste italien rester objectif en criant « Elia ! Elia ! » quand Elia Viviani a remporté devant lui l’omnium en cyclisme sur piste.

On a réfléchi à deux fois avant de demander à un haltérophile français, puis iranien, puis ukrainien ce que ces poids plume – 94 kg – pensaient du dopage et du principe de la suspension à vie.

On a dégusté de la caïpirinha-maracuja, et découvert que le mariage de la cachaça et du fruit de la passion pouvait être particulièrement savoureux.

On a appris que Pollyana était un prénom féminin répandu au Brésil.

On a vu des gens à la fois si près et bien loin des JO à la Baixada Fluminense, à 30 kilomètres de Rio. La grand-messe olympique n’a rien modifié au quotidien de Felipe, coiffeur de 27 ans, dont le seul lien avec les Jeux a été sa minuscule télévision au signal brouillé.

On a découvert qu’au Brésil « petit gâteau » voulait dire « fondant au chocolat ». Cinquième et sixième mots à connaître donc, après « bom dia », « obrigado » et « caïpirinha ».

On s’est trompés de BRT – ces immenses bus qui filent à toute vitesse dans leurs couloirs réservés –, et on a regardé défiler le paysage pendant trente minutes, impuissant, après être monté dans un direct, alors qu’on devait descendre à mi-chemin.

On a aimé rentrer à pied de la victoire d’Estelle Mossely, et cheminer un moment à « ça » de Marie-José Pérec, qui nous avait tant fait vibrer à notre adolescence.

On s’est amusés à repérer, dans les parcs ou les supermarchés de Copacabana, tous les macarons « Fora Temer » sur les vêtements de Brésiliens plutôt colère à l’idée que leur présidente, Dilma Rousseff, ait été écartée du pouvoir.

On a vu le stade olympique, aux trois quarts vides, se remplir quand Usain Bolt courait et gagnait.

On a vu des fans, pardon, des journalistes, prendre des selfies depuis les tribunes lors de ses podiums.

On en a vu d’autres regarder à travers l’écran de leur téléphone portable la course qui se déroulait en chair et en os sous leurs yeux. Quelle drôle d’époque.

On a vu un cadre du service des sports de France Télévisions demander (et obtenir) un selfie à Tony Parker et Teddy Riner.

On n’a presque pas vu un seul moustique. Du coup on a arrêté de se mettre du répulsif tous les matins. Du coup on a fini par se faire piquer.

On a tapoté dans le dos d’un touriste kényan pour pouvoir le photographier en train de narguer le zika dans le métro.

On a eu envie de faire de la télé. Pas pour les selfies, ni pour la gloriole, ni pour le maquillage, mais pour interviewer plus vite les sportifs qui devaient circuler après chaque compétition, les pauvres, de médias en médias.

On a failli assister à un combat de boxe entre un photographe français et un journaliste brésilien après celui entre Sofiane Oumiha et Robson Conceiçao. Une jeune volontaire de caractère est intervenue à temps pour faire cesser ce combat de coqs qui s’écharpaient pour d’obscures raisons.

On s’est demandé, en lisant « Rio 2016 » à l’envers, si le CIO avait tenté pendant quinze jours d’envoyer un message religieux subliminal, puisque « 2016 », à l’envers, se lit « dios ».

On a vu Ioulia Stepanova dans une petite fenêtre, derrière sa webcam, à plusieurs milliers de kilomètres de Rio.

On a vu à quoi ressemblait le bonheur absolu à la piscine dans les yeux de deux Kazakhs entrés soudainement en transe lorsque leur compatriote Dmitri Balandin est devenu champion olympique du 200 m brasse.

On a compris qu’un être humain pouvait parfaitement tenir vingt-quatre heures en se nourrissant uniquement de chips.

On a vu les ravages du bourrage de mou du CIO sur le libre arbitre des bénévoles.

On a arpenté le parc olympique désert, la nuit, parfois sous la pluie.

On n’a pas vu beaucoup de Brésiliens de couleur noire dans les stades pleins.

On a vu beaucoup de sièges de couleur bleue dans les stades vides.

On a vu la détresse des battus commentant leur défaite pendant que leurs vainqueurs traversent la zone d’interview en hurlant.

On a croisé plus de camions militaires que de petites citadines à Deodoro, le quartier de l’armée brésilienne, où il est tout à fait loisible de refaire sa garde-robe de treillis entre deux épreuves de basket ou d’équitation organisées sur place.

On a entendu un chauffeur Uber chanter.

Un chauffeur de taxi carioca chante en français
Durée : 00:25

On a vu Thierry Braillard assis devant un match.

On a vu Thierry Braillard entrer dans un stade.

On a vu Thierry Braillard sortir d’un stade.

On a vu Thierry Braillard marcher dans les couloirs.

On a été bien obligé d’écouter Je vais t’aimer, de Michel Sardou, dans une salle surclimatisée : musique infligée par la candidate française au concours de gymnastique rythmique.

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Durée : 00:08

On a vu un grand espoir de la natation brésilienne en démonstration dans une mare du parc olympique.

Michael Phelps Jr au parc olympique de Rio
Durée : 00:25

On a entendu un journaliste devenir fou parce qu’il s’était fait confisquer sa bombe antimoustique lors de contrôle de sécurité à l’entrée du parc olympique.

Douce France, cher pays de mon enfance. On a kiffé cette vieille dame francophone et francophile, croisée dans un ascenseur, qui nous a mis Charles Trenet en tête pour le reste de la journée.

On a survécu à la faim grâce aux biscuits pour chien vendus aux humains dans les supermarchés cariocas sous le nom de « crocantissimo » pour la modique somme de 2 reais.

On a dégusté des kilomètres de salsichao, saucisse marinée et recouverte de farine de manioc, qui se transforme en sucette pour carnivores quand elle est plantée sur son pic en bois.

On a eu envie de brûler le parc olympique quand on s’est retrouvés, dimanche soir, enfermés dans la Futuro Arena six heures après la finale perdue par les handballeurs français. Et gagnée par les handballeurs danois.

On a vu des gens se donner des coups de coude et courir pour avoir des places assises dans le métro. Un véritable sport carioca.

On a vu le droit du travail brésilien et ses supermarchés ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

On a vu des maillots de la Seleçao, partout, tout le temps.

On a vu des poom-poom shorts, partout, tout le temps.

On a vu Vinicius.

14 août 2016
Durée : 00:31

Obrigado Rio. On s’est beaucoup plaints, mais c’était bien.