Jeremy Corbin et Owen Smith lors d’un débat à Cardiff, le 4 août, dans le cadre de la campagne interne pour la direction du Labour. | GEOFF CADDICK / AFP

Editorial du « Monde ». Symbole douloureux de la crise de la social-démocratie européenne, le Labour est à la dérive. Au moment où il lance, lundi 22 août, la consultation de ses militants pour élire le nouveau chef travailliste, le grand parti de gauche britannique, créé en 1900, est déchiré entre deux courants qui paraissent irréconciliables.

Le leader sortant, Jeremy Corbyn, 67 ans, qui sollicite un nouveau mandat, incarne la gauche du parti. Antimilitariste, partisan du désarmement nucléaire unilatéral, favorable à la renationalisation de certaines industries, il a longtemps vécu une carrière de député relativement obscure, à la marge de son parti, au sein duquel il était hostile au centrisme de Tony Blair. Son élection à la tête du Labour, en septembre 2015, a pris tout le monde par surprise, y compris lui-même. Personne n’avait vu venir la vague d’enthousiasme populaire qui a assuré sa victoire, ni l’écho qu’a rencontré son discours social. Tout ce que le Royaume-Uni compte de militants de gauche – déçus du parti, membres de groupes d’extrême gauche, étudiants – est venu gonfler les rangs du Labour dans un mouvement d’adhésion massif. Aujourd’hui, le Parti travailliste compte 515 000 membres, soit deux fois et demie plus qu’en mai 2015, date des dernières élections législatives.

C’est, à vrai dire, le seul exploit de Jeremy Corbyn. Ces nouveaux militants, aussi enthousiastes et sincères soient-ils, ne parlent qu’à eux-mêmes. Urbains des classes moyennes, ils sont à des années-lumière de l’électorat traditionnel du Labour, implanté dans les quartiers populaires des villes du nord de l’Angleterre. Brouillon et soporifique, Jeremy Corbyn est très impopulaire en dehors de son parti : le Labour ne recueille actuellement que 28 % d’intentions de vote, contre 40 % pour le Parti conservateur au pouvoir.

Protégé par le système interne du parti

Le défi lancé à M. Corbyn par Owen Smith, 46 ans, un député gallois quasi inconnu jusqu’à présent, pour lui arracher la direction du parti est vraisemblablement voué à l’échec, compte tenu de l’assise du dirigeant sortant au sein du Labour. D’ici au 24 septembre, date à laquelle le vainqueur sera proclamé, l’autre courant travailliste, celui que défendent les cadres et députés du parti, héritiers de Tony Blair et de sa fameuse troisième voie, va cependant intensifier le combat interne. Eux ont été formés pendant les années Blair. Ils ont condamné l’aventure irakienne dans laquelle l’ex-premier ministre britannique avait entraîné son pays, ils déplorent l’appétit pour l’argent de leur ancien chef, mais ils ont retenu sa leçon de pragmatisme. Ils savent qu’une élection au Royaume-Uni se gagne au centre, car le scrutin électoral ne laisse aucune place aux extrêmes.

L’un des hommes les plus populaires du Labour, le maire de Londres, Sadiq Khan, a lancé l’offensive à la veille de l’ouverture du vote interne. Dans une tribune publiée dimanche par The Observer, M. Khan a mis tout son poids dans la balance, appelant les militants à rejeter Jeremy Corbyn et à choisir Owen Smith. Le leader travailliste, rappelle le maire de Londres, a fait une campagne désastreuse lors du référendum sur le Brexit, que le Labour a perdu.

Jeremy Corbyn semble pourtant indéboulonnable, protégé par le système interne du parti. Une deuxième victoire rendrait impossible la rébellion interne du courant social-démocrate et pourrait provoquer une scission. C’est bien l’existence du Labour qui est en jeu, derrière ce scrutin interne.