Le premier ministre Youssef Chahed à Carthage, le 20 août 2016. | FETHI BELAID / AFP

Trois semaines après sa désignation, Youssef Chahed, le nouveau premier ministre tunisien – qui doit encore être confirmé dans ses fonctions par les députés –, a dévoilé, samedi 20 août, la composition du gouvernement qu’il souhaite présenter à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Une équipe rajeunie, importante numériquement (26 ministres et 14 secrétaires d’Etat), offrant un peu plus de poids au parti islamiste Ennahda et élargie à de nouveaux petits partis. Censée permettre au pays de relever d’urgents défis, notamment économiques, la proposition ne faisait toutefois pas l’unanimité dimanche soir.

Ennahda, première force politique au Parlement avec 69 sièges, a indiqué avoir quelques « réserves et observations » à transmettre à M. Chahed sur la composition de l’équipe. « Nous n’accepterons aucun soupçon de corruption [parmi les membres du gouvernement], ni aucune personnalité qui pratiquerait l’exclusion envers Ennahda ou une autre partie », a déclaré le président du parti islamiste, Abdelkarim Harouni, sans citer de nom. Le responsable a précisé que le niveau de représentativité du parti n’était pas en cause. Une autre formation, Afek Tounès, membre de la précédente coalition gouvernementale, a appelé M. Chahed à « revoir sa copie ».

Huit femmes

Les changements proposés sont limités. Les portefeuilles régaliens que sont la défense, l’intérieur et les affaires étrangères restent inchangés, de même que l’important ministère de l’éducation. La nouvelle composition s’est ouverte à plusieurs petites formations, notamment à gauche. Quant à Ennahda, il compterait trois ministres (contre un auparavant) ainsi que trois secrétaires d’Etat.

En présentant cette équipe samedi, Youssef Chahed a mis en avant le rajeunissement, une revendication constante depuis la révolution de 2011, mais aussi la féminisation de l’équipe : le nouvel exécutif compterait huit femmes. Il a aussi promis que ce gouvernement serait gage d’efficacité face à ses trois priorités : la lutte contre le terrorisme, la corruption et le chômage. Un pari encore loin d’être gagné au vu des premières réticences exprimées.

Agé de 40 ans, économiste, Youssef Chahed a été désigné le 3 août par le président Béji Caïd Essebsi, 89 ans, pour former un nouveau gouvernement après plusieurs semaines de crise politique. Début juin, le chef de l’Etat avait en effet lancé l’idée d’un gouvernement « d’union nationale ». L’appel avait résonné comme un désaveu pour le premier ministre en fonction, Habib Essid, un technocrate de 67 ans sans affiliation partisane. Celui-ci avait alors décidé de remettre en jeu son mandat et a été débarqué par un vote de l’ARP fin juillet.

Urgence sociale

La mise sur pied d’une équipe gouvernementale solide est une question cruciale pour le pays dont la situation économique est très dégradée. Chômage en hausse, fortes inégalités géographiques entre le littoral et les régions défavorisées de l’intérieur, croissance atone : la rentrée du futur exécutif s’annonce périlleuse. Et la vitesse à laquelle des manifestations de chômeurs s’étaient étendues sur le territoire en janvier avait donné une idée de l’urgence sociale.

Pour le chef de l’Etat, la mise en place d’un gouvernement d’union semble répondre à un double enjeu : rebattre les cartes du jeu politique, alors que le parti qu’il a fondé, Nidaa Tounès, s’est violemment divisé au cours de la dernière année, et élargir le spectre politique de l’exécutif pour répartir les responsabilités. En effet, les scissions internes à Nidaa Tounès, vainqueur des élections de 2014, ont fait d’Ennahda le premier groupe à l’ARP. Le parti de Rached Ghannouchi avait alors demandé à être davantage présent dans l’équipe gouvernementale.

Mais pour la formation islamiste, il ne s’agit pas non plus de se retrouver seule en première ligne face aux attentes et aux défis. Dimanche soir, son président Abdelkarim Harouni a d’ailleurs indiqué que le niveau de représentation de son parti au sein du gouvernement proposé avait été « ratifié ». Au-delà des « réserves » évoquées, « nous n’irons pas jusqu’à refuser en bloc le gouvernement », a-t-il dit.

Pour entrer en fonctions, le nouvel exécutif doit en effet obtenir la confiance du Parlement. La date du vote pourrait être annoncée lundi par l’ARP. D’ici là, les tractations devraient se poursuivre.