« La Turquie légalise la pédophilie ». Plusieurs sites d’extrême droite français ont relayé, ces derniers jours, une rumeur selon laquelle les actes sexuels avec les enfants de moins de 15 ans seraient désormais autorisés dans le pays. Sauf que ce n’est pas vrai, et que la décision de justice présentée comme étant à l’origine du problème a été largement déformée. Explications.

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CE QUE DIT LA RUMEUR

Voici la présentation des faits que l’on trouve dans les articles accusant la Turquie :

« Jusqu’alors, il était interdit en Turquie à un adulte d’avoir des relations sexuelles avec une personne âgée de moins de 15 ans. La Cour constitutionnelle turque vient d’abroger cette limite d’âge de la majorité sexuelle. Cette décision date du mois de juillet 2016, mais est passée quasi inaperçue en raison de la tentative de putsch qui a secoué le pays. »

La rumeur est en fait partie de sites anglophones ou germanophones, comme 20min.ch ou breitbart.com. Elle a ensuite circulé dans de nombreux pays, jusqu’à être prise très au sérieux par la ministre des affaires étrangères suédoise sur Twitter, le 14 août :

« La décision turque d’autoriser les relations sexuelles avec les enfants de moins de 15 ans doit être annulée. Les enfants ont besoin de plus de protection, pas de moins, contre la violence et les abus sexuels. »

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Les autorités turques ont répliqué sèchement au message de la ministre suédoise. « Vous êtes clairement mal informée. Cette idée stupide n’existe pas en Turquie. Vérifiez vos informations, s’il vous plaît », a répondu sur Twitter Mehmet Simesk, le vice-premier ministre turc.

Face à la polémique, la Cour constitutionnelle turque a apporté des précisions dans un communiqué publié sur son site. Elle y estime notamment que « des informations trompeuses ont été rapportées par certains médias étrangers en déformant la décision […] du 26 mai 2016 ». Et se montre catégorique sur le fond : « Contrairement aux allégations, les actes d’abus sexuels sur les mineurs de moins de 15 ans n’ont pas été décriminalisés avec cette décision. »

Un problème de « proportionnalité » des peines

Voici ce que l’on sait des faits : un tribunal régional du district de Bafra, dans le nord de la Turquie, a soulevé une problématique de droit à la Cour constitutionnelle au sujet du premier paragraphe de l’article 103 du code pénal turc, qui a examiné le cas le 26 mai 2016.

Le code pénal turc prévoit des peines de prison pouvant aller de trois à huit ans pour les abus sexuels sur les enfants et de huit à quinze ans en cas de viol (les peines sont durcies en cas de circonstances aggravantes, pouvant aller jusqu’à la prison à vie).

Le texte donne deux définitions générales de ces abus :

  • Tout acte sexuel commis contre un mineur de moins de 15 ans.
  • Tout acte sexuel contre un mineur commis de force, avec menace ou tout autre moyen d’influencer la volonté de l’enfant.

Le tribunal régional du district de Bafra a fait valoir devant la Cour constitutionnelle turque que le texte posait un problème de « proportionnalité » des peines, la loi n’autorisant pas de prononcer une condamnation moins importante dans « certains cas particulièrement justifiés », notamment entre deux mineurs, où la peine minimale apparaîtrait « démesurée ». Le tribunal de Bafra estimait par exemple qu’un enfant de 12 à 15 ans pouvait avoir conscience de la notion d’acte sexuel, contrairement à un enfant plus jeune.

A titre d’exemple, en France, la loi prévoit une peine maximum (15 ans de prison) identique pour tous les viols sur mineurs de moins de 15 ans. En revanche, elle ne fixe pas de minimum, ce qui laisse aux juges la liberté d’appréciation de la peine plus importante.

Six mois pour réparer la loi

La Cour constitutionnelle turque a suivi les arguments du tribunal de Bafra, et a donc annulé l’article du code pénal concerné. Il n’a cependant jamais été question de légaliser la pédophilie en Turquie : l’âge légal du consentement à des relations sexuelles dans ce pays reste fixé à 18 ans. Cette décision ne peut donc être présentée « comme une décriminalisation des actes d’abus sexuels contre les mineurs de moins de 15 ans », tranche la Cour constitutionnelle.

Cette dernière a fixé un délai de six mois, soit d’ici à janvier 2017, pendant lequel la loi actuelle reste applicable, ce qui évite qu’il n’y ait un vide juridique en attendant une nouvelle mouture du texte.

Les associations locales de protection de l’enfance se montrent vigilantes face à cette situation. Elles demandent que le futur article de loi soit adopté le plus rapidement possible, et exigent que les nouvelles peines « proportionnées » ne soient pas un prétexte pour prévoir des sanctions trop faibles, dans un pays encore fortement touché par le fléau des mariages forcés.

Aysun Baransel, secrétaire générale de l’Association de prévention des abus sur les enfants, s’en est inquiétée auprès de l’agence turque Anadolu. : « La chose la plus importante désormais, c’est qu’à moins que ce problème ne soit rapidement abordé les agresseurs d’enfants pourront se sentir tranquilles », a-t-elle affirmé, insistant sur la nécessité d’adopter une nouvelle version du texte dans les temps.

Le gouvernement turc assure que la future loi ne sera pas plus permissive

Selon la version anglophone du journal turc Hürriyet, le gouvernement prévoit un nouveau texte qui répondrait à ces critiques. Il ne reverrait ainsi pas à la baisse les peines pour des actes pédophiles.

Au contraire, les peines seraient, par exemple, durcies en cas d’abus sur un enfant de moins de 12 ans (la peine minimum passant de 8 à 18 ans en cas de viol). La loi devrait en revanche tenir compte de certains cas « particuliers », comme lors de relations entre mineurs du « même âge ».

Le ministère des affaires étrangères turc a critiqué dans un communiqué les « faux titres » de la presse, notamment autrichienne, à ce sujet, affirmant que la Turquie était « consciente de ses responsabilités et devoirs » en matière de protection des droits de l’enfance.