Comment est née La Grande-Motte, éternelle mal-aimée du patrimoine architectural français ?

Avant, il n’y avait rien, ou presque. Une lagune infestée de moustiques et balayée par les vents. A la fin des années 1950, l’Etat décide, dans le plus grand secret, d’aménager la côte pour retenir les touristes qui partaient en masse vers l’Espagne. Le projet visait aussi à maîtriser l’appétit des promoteurs, qui auraient morcelé le territoire et fait flamber les prix.

L’historien de l’architecture Gilles Ragot. | Gilles Ragot

Le chantier d’aménagement a été attribué à l’architecte Jean Balladur, qui y a consacré trente ans de sa vie. Les travaux ont démarré en 1967. Cinq millions de mètres cubes de sable ont été déplacés, le sol dessalinisé, les moustiques éradiqués. La première partie de la ville est inaugurée en 1974, année où la station devient officiellement une commune. En 1983, le projet est quasi terminé.

En quoi La Grande-Motte est-elle, comme vous l’écrivez dans votre livre, une « Utopie réalisée » ?

L’utopie est d’abord sociale. Dans ce nouveau symbole du tourisme populaire, les campings, les maisons individuelles et les appartements se côtoient. Les vacances à la mer doivent être à la portée de tous. L’utopie est également architecturale : Jean Balladur s’est inspiré des pyramides de Teotihuacan, découvertes lors d’un voyage au Mexique, pour dessiner les immeubles emblématiques de la station balnéaire.

Le Palais des congrès de la Grande-Motte dans l’Hérault. | Henri Comte / Epicureans

Le regard du public a-t-il vraiment changé ?

Quand La Grande-Motte est sortie de terre, les gens ont dénoncé immédiatement une « Sarcelles-sur-Mer ». La réhabilitation a commencé lorsque des spécialistes ont reconnu la qualité du plan paysager : le modèle d’urbanisme choisi est fondé sur la culture d’essences endémiques capables de résister aux conditions climatiques et sur la construction de bâtiments hauts, chargés de protéger la ville des embruns. Mais il a fallu attendre quelques décennies pour que la conscience collective digère cette architecture révolutionnaire. Aujourd’hui, en observant le bâti contemporain, on se dit que La Grande-Motte pose des jalons importants. La preuve, sur les cartes postales des années 1980 et 1990, on ne voyait que la mer. Désormais, la ville et les immeubles sont à l’honneur.

Vidéo : reportage sur La Grande Motte sur Antenne 2, le 28 août 1983

Comment préserver ce patrimoine ?

La réhabilitation de La Grande-Motte est un enjeu majeur. Les bâtiments publics doivent être entretenus, sans quoi ils risquent de connaître le même sort que l’ancien casino, qui sera bientôt détruit. Il faut aussi rénover la voirie, le mobilier urbain et continuer à penser le territoire dans son ensemble. La pression immobilière est un autre défi dans une ville dont 30 % du territoire est végétal.

Cinquante ans après sa création, la ville est-elle toujours conforme à l’ambition de son architecte ?

Oui. Cela fait peu de temps que La Grande-Motte ressemble à la ville-jardin imaginée par Jean Balladur et le paysagiste Pierre Pillet. Elle possède toutes les infrastructures publiques et commerciales nécessaires à une vie à l’année – le Palais des congrès, notamment, anime la ville pendant la basse saison. Il faut dépasser les clichés et redécouvrir cette ville. Le mieux est de la parcourir à pied puisque Jean Balladur avait refusé qu’une route longe le littoral pour limiter l’impact de l’automobile. Cela aussi, à l’ère du tout-automobile, c’était révolutionnaire.

Les immeubles en forme de pyramide de l’architecte Jean Balladur. | Henri Comte / Epicureans

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« La Grande-Motte. Patrimoine du XXe siècle », de Gilles Ragot, Ed. Somogy, 232 pages, 45 €.