A Combien de vies un bâtiment a-t-il droit ? En se réincarnant pour la énième fois depuis les années 1930, les Magasins généraux de Pantin (93) ont atteint, s’il existe, le quota autorisé. Dans l’entre-deux-guerres, on appelait ces entrepôts jumeaux de 20 000 m2 le « grenier de Paris » – ici transitaient le grain, la farine, les céréales, le papier et le tissu acheminés par camion et péniche. Le « grenier » s’est ensuite mué en bâtiment des douanes, avant d’être abandonné et investi au début des années 2000 par les graffeurs, qui en ont fait une cathédrale éphémère du street art. Fin de l’histoire, récente et ancienne. L’automne 2016 marque le début d’une nouvelle existence.

Les entrepôts de Pantin dans les années 1960. | DR / CCI Paris IDF

Amarré au bord du canal de l’Ourcq, le bâti industriel et ses nombreux balcons aux garde-corps en forme de bastingage évoquent un paysage portuaire ou balnéaire. Tel un énorme paquebot, les Magasins généraux émergent de l’espace urbain d’une façon presque onirique. Pendant huit ans, Rémi Babinet, patron de l’agence de publicité BETC, avait contemplé l’immeuble avec envie, à la recherche d’un lieu dans lequel regrouper ses équipes, jusqu’ici réparties sur sept sites différents dans le 10e arrondissement de Paris.

Une « Factory » à la Warhol

Babinet connaît l’histoire et le potentiel des Magasins généraux. « Ce bâtiment d’ingénieur fait pour les marchandises et non pour les hommes permet des expérimentations spatiales inédites », lui promet alors l’architecte Frédéric Jung, qui a dirigé le chantier pour BETC. Tellement inédites que, par le passé, beaucoup de projets immobiliers ont été balayés.

La marque Chanel avait par exemple envisagé d’englober le bâti d’une bulle de verre géante, avant de renoncer pour finalement s’installer de l’autre côté du canal. Jung a, lui, fait le pari de dénuder les piliers de béton centraux en reculant la structure originelle pour faire respirer le cœur de cette construction monstre traversée de verre, d’acier et de bois.

Time lapse de la dernière tranche des travaux (par BETC Paris)

BETC Pantin 2016 Timelapse 4
Durée : 01:49

Les salariés de l’agence de publicité ont pris possession de leurs bureaux le 18 juillet. Le mot d’ordre donné au studio de design T & P Work Unit était clair : aucune décoration superflue, la tonalité d’ensemble doit être celle d’une « Factory » à la Warhol.

Le champ lexical du mobilier tourne, de fait, autour de l’outil et de la fabrique, avec la conception de « plans de travail » inspirés de l’établi d’artisan, de cabanes posées ici ou là, et pensées comme des « ateliers » pour s’isoler en petit groupe, le tout dans une éco-conception poussée. Dans le dédale de coursives courant sur les cinq étages occupés par BETC, il est aussi question de « bureau libre » : personne, pas même les cadres dirigeants, ne dispose ici d’un poste fixe. « Comme pour l’open space à l’époque, beaucoup de salariés ont protesté, confie Rémi Babinet. Je les ai convaincus en leur disant qu’il faut que les métiers se croisent, que des rencontres inédites aient lieu. Nous ne sommes pas dans une logique productiviste, nous avons bien plus de places que de salariés présents. »

Sans borne d’accueil, l’entrée des Magasins généraux est ouverte au public, avec son passage couvert menant au canal et son mobilier urbain légèrement détourné. A l’automne,
le rez-de-chaussée sera enrichi de deux espaces commerçants. Le premier, Les Docks de La Bellevilloise, sera une cantine bistrot associée à un concept store sur l’univers des sports de plein air (vélo, bateau, paddle…).

« Des associations en lien avec ces activités y prendront la parole », annonce Renaud Barillet, le fondateur de l’espace culturel La Bellevilloise (Paris 20e) qui ouvre ainsi une nouvelle antenne. L’entrepreneur a par ailleurs racheté sur un coup de tête Le Lutèce, amarré juste à côté, dans le canal voisin. Il compte transformer ce bateau-pompe qui éteignit l’incendie des moulins de Pantin, bombardés en 1944, en lieu voué à l’événementiel.

L’architecte Frédéric Jung a reculé la structure originelle du bâtiment pour dégager le cœur du bâtiment, où s’entremêlent verre, acier et bois. | Hervé Abadie

Le second espace du rez-de-chaussée sera une halle de commerce bio, pensée par Augustin Legrand, militant pour le droit au logement et créateur du restaurant Le Bichat, à Paris. L’agence BETC évoque, quant à elle, la gestion d’un espace artistique de 800 m2. Bien sûr, tous misent sur le développement du Grand Paris pour doper leur future clientèle. Soutenue par la Ville de Pantin, la réhabilitation des Magasins généraux fait en effet partie d’une opération immobilière plus large, qui comprend la construction de 300 logements aux abords du bâtiment.