Une jeune maman et sa fille sur la plage de Nice. Elle explique que lorsqu'elle se baigne, elle se baigne dans cette tenue, une version contemporaine : leggins, tee-shirt et voile noué sur la tête. | ELEONORA STRANO/HANS LUCAS POUR "LE MONDE"

Le tribunal administratif de Nice (Alpes-Maritimes) a validé, lundi 22 août, l’interdiction des « burkinis » sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet imposée par arrêté municipal début août.

Alors que le Conseil d’Etat, saisi par la Ligue des droits de l’homme, se penchera jeudi 25 août sur la légalité de l’arrêté, Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Ouest-Nanterre et directrice du Centre d’études et de recherches sur les droits fondamentaux (Crédof), décrypte les éventuelles conséquences des interdictions décidées par plusieurs maires.

Quelle est votre lecture de la décision du tribunal administratif de Nice, qui a validé l’arrêté anti-burkini de Villeneuve-Loubet ?

Ce jugement pose problème à la fois sur le raisonnement du juge sur les terrains de la laïcité et de l’ordre public, ainsi que sur les valeurs de la République. Avant le jugement du lundi 22 août, aucun acteur juridique n’avait jamais considéré que les plages devaient être soumises à un impératif de neutralité religieuse. Avec cette ordonnance, il y a la conjugaison d’une part de la crispation du débat sur la laïcité depuis une dizaine d’années et d’autre part les effets de l’état d’urgence. Il y a une logique de l’urgence qui se dissémine partout dans l’ordre juridique. La conjugaison de ces deux effets aboutit à un jugement qui menace la liberté de tous et la liberté des femmes musulmanes en particulier.

Dans son ordonnance, le juge évoque « une liberté d’exprimer dans les formes appropriées ses convictions religieuses ». Cela signifie qu’il revient aux autorités administratives, sous le contrôle du juge, d’apprécier si la manière dont on exprime ses convictions religieuses correspond à des « formes appropriées ». C’est problématique en termes de libertés individuelles. Cela pose problème sur le principe même de laïcité. Les autorités publiques ne sont pas censées rentrer dans l’appréciation du bien-fondé des différentes manières d’exprimer sa religion. Le juge s’érige ici en police du vêtement, mais aussi en police des bonnes et des mauvaises manières d’exprimer ses convictions religieuses.

Quelles vont être, selon vous, les conséquences de ce jugement ?

Il y a deux types de conséquences qui suscitent l’inquiétude. La première est la conséquence pratique. Soit la liberté de tous va être restreinte, c’est-à-dire que toute personne qui n’a pas de tenue appropriée sur la plage risque d’être verbalisée. Soit, nous risquons d’avoir une application discriminatoire sur le plan de la religion qui va être mise en place. Seuls les musulmans, et notamment les femmes musulmanes portant le burkini, vont être verbalisés. Dans leur intention, ces textes sont discriminatoires car ils visent spécifiquement une tenue qui est celle portée par des femmes qu’on va présumer musulmanes car elles portent le burkini ou une tenue couvrante.

Le deuxième problème est que ce type de jugement est une forme de consécration juridique du raidissement du discours sur la laïcité. Il ouvre la voie à une extension permanente ou ininterrompue des restrictions à la liberté religieuse en général ; et des musulmans en particulier. Ce type de débat sur le burkini peut être vu comme préparatoire à de nouvelles restrictions à la liberté religieuse des musulmans et peut entraîner de nouveaux questionnements sur le port du voile, à l’université par exemple.

Que faut-il attendre du Conseil d’Etat ?

Le Conseil d’Etat se prononcera jeudi 25 août en appel. Il est difficile de prédire ce qu’il va décider car nous sommes sur des terrains extrêmement sensibles. Espérons qu’il s’affirme en gardien des libertés, même dans le contexte d’état d’urgence, en réaffirmant les exigences qu’il fait traditionnellement peser sur les mesures de police administrative.