Slobodan Milosevic aurait-il été « blanchi » par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ? L’affirmation a largement circulé sur Internet depuis le début du mois d’août, jusqu’à des sites d’information comme celui de La Dépêche du Midi, dix ans après la mort, en détention, de l’ancien dictateur, qui avait signé la fin de son procès pour les crimes commis pendant les guerres en ex-Yougoslavie des années 1990. Cette information est pourtant complètement fausse. Explications.

COMMENT LA THÉORIE EST NÉE

Tout est parti d’un article publié le 1er août sur le site Internet américain CounterPunch.org, épinglé à plusieurs reprises pour avoir véhiculé de fausses informations (il a par exemple pris un pseudo-discours de Hillary Clinton devant la banque Goldman Sachs pour un vrai en février).

« L’exonération de Milosevic : le jugement surpris du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », titre counterpunch.org. | Counterpunch

L’auteur de l’article, Andy Wilcoxson, affirme tenir la preuve, passée sous silence par les médias, de l’exonération de Slobodan Milosevic par le TPIY. Il a pour cela étudié les 2 590 pages du jugement de Radovan Karadzic, l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie condamné à quarante ans de prison pour génocide le 24 mars.

Bien qu’il ne s’agisse pas de son procès, Slobodan Milosevic a son nom cité à des centaines de reprises dans le document, et l’article de CounterPunch.org a recensé des passages « favorables » à ce dernier. Le plus direct, extrait du paragraphe 3460 du jugement, dit ceci :

« La Chambre juge qu’il n’y a pas suffisamment de preuves dans ce dossier pour constater que Slobodan Milosevic avait donné son accord au plan commun qui visait à expulser définitivement les Musulmans et les Croates de Bosnie du territoire revendiqué par les Serbes de Bosnie. »

Cette présentation des faits a, depuis, été reprise par le site prorusse Russia Today, des sites d’extrême droite comme Breizh Info ou Egalité et Réconciliation et, plus surprenant, des sites d’information comme celui de La Dépêche du Midi. Des contributeurs de Wikipedia se sont même appuyés sur l’article du quotidien local pour ajouter l’« information » à la page de Slobodan Milosevic sur l’encyclopédie collaborative.

POURQUOI C’EST FAUX

Il suffit pourtant de se plonger dans le jugement pour comprendre qu’il s’agit en fait d’une présentation sélective des faits. Par exemple, si on lit le paragraphe 3460 du jugement dans son intégralité, on s’aperçoit que le texte incrimine également Slobodan Milosevic :

« La Chambre rappelle qu’il [Slobodan Milosevic] a partagé et approuvé l’objectif politique de l’accusé [Radovan Karadzic] et de l’état-major serbe de préserver la Yougoslavie et d’empêcher la séparation ou l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine et coopéré étroitement avec l’accusé pendant cette période. La Chambre rappelle également que Milosevic a fourni une assistance sous la forme de personnel, de provisions et d’armes aux Serbes de Bosnie pendant le conflit. »

Passer sous silence un tel préambule à « l’exonération » de Slobodan Milosevic en dit long sur la méthode employée par le site américain pour appuyer son argumentaire.

Le procès de Karadzic n’était pas celui de Milosevic

L’autre tour de passe-passe de cette théorie visant à nier les crimes de l’ancien dictateur, c’est d’essayer de présenter le jugement de Radovan Karadzic comme étant celui de Slobodan Milosevic. Le nom de ce dernier a beau apparaître à de nombreuses reprises dans le dossier, de par ses fonctions de l’époque, ce n’est jamais lui que le terme « accusé » désigne dans le jugement.

Sollicité par Le Monde, le TPIY est catégorique :

« Le Tribunal n’a fait aucune détermination de culpabilité à l’égard de Slobodan Milosevic dans son verdict à l’encontre de Radovan Karadzic. En effet, Slobodan Milosevic n’a pas été inculpé ou accusé dans l’affaire Karadzic. Le fait qu’une personne se trouve être, ou non, membre d’une entreprise criminelle commune dans une affaire dans laquelle elle n’a pas été accusée n’a pas d’impact sur son propre cas ou sa propre responsabilité pénale. »
« Aucune conséquence sur l’affaire distincte qui concerne Slobodan Milosevic. »

Ainsi, seule une sous-partie de dix des quelque 2 500 pages du document est directement consacrée à Milosevic, dans une sous-section destinée à mettre en perspective la part de l’accusé Radovan Karadzic avec celle des autres membres de « l’entreprise criminelle commune » qui a meurtri la Bosnie de 1992 à 1995. Difficile de prétendre qu’un si court extrait, majoritairement basé sur des conversations entre Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, suffirait à explorer la longue liste des crimes pour lesquelles l’ex-dictateur avait été inculpé.

Malgré ces faits, Andy Wilcoxson a écrit un deuxième article, publié le 9 août sur son site Slobodan-Milosevic.org, où il affirme que « les charges contre Milosevic et Karadzic sont inexorablement liées ». Preuve, selon lui, que les extraits du jugement du deuxième qu’il a repérés exonèrent bien le premier.

Là aussi, la réponse du TPIY est ferme : « Non. Le procès contre Radovan Karadzic était seulement le sien, et n’a donc aucune conséquence sur l’affaire distincte qui concerne Slobodan Milosevic. »

Le procès de l’ex-dictateur a été officiellement clos mardi 14 mars 2006, trois jours après sa mort. Les statuts du TPIY ne permettent en effet pas de tenir un procès en l’absence prolongée d’un accusé. « Nous exprimons nos regrets pour sa mort et nous regrettons également que son décès le prive lui, ainsi que les autres parties concernées, d’un jugement sur les charges qui lui étaient reprochées », avait déclaré le juge Patrick Robinson, après plus de quatre ans de procédure.