FIFA : comprendre le "système Blatter" en 5 minutes
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C’est le baroud d’honneur d’un monarque déchu. Déterminé à redorer son image, le Suisse Joseph « Sepp » Blatter, 80 ans, doit être entendu, jeudi 25 août, par les juges du Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne. Cette audition est censée mettre un point final au conflit entre l’ex-président de la Fédération internationale de football (FIFA), au pouvoir de 1998 à 2015, et son ancienne organisation – dont il était salarié depuis 1975 –, qui l’a suspendu six ans.

L’audience programmée au château de Béthusy, où siège la plus haute juridiction sportive, constitue l’épilogue de ladite affaire du paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros), versé en février 2011, par Sepp Blatter, alors patron du foot mondial, à son ex-ami et allié Michel Platini.

Cette transaction a amorcé la chute du président de la FIFA – pourtant réélu pour un cinquième mandat, le 29 mai 2015, avant d’annoncer son abdication prochaine, quatre jours plus tard – et de son homologue français de l’Union des associations européennes de football (UEFA), jadis unis dans la conquête de l’instance faîtière du football par l’Helvète, en 1998. Une dégringolade qui s’apparente à une tragédie shakespearienne.

Le 9 mai, l’ex-numéro 10 des Bleus avait vu sa suspension allégée de deux ans par le TAS. Ce qui équivalait à une radiation de quatre ans. Cette sanction avait scellé la fin de la carrière politique de l’ancien capitaine de l’équipe de France.

A la demande de la FIFA, Sepp Blatter avait témoigné devant les juges de Lausanne, le 29 avril, lors de l’audience de Michel Platini. Cette fois, le patriarche suisse viendra plaider sa cause, escorté par son avocat zurichois Lorenz Erni, qui compte parmi son illustre clientèle le réalisateur Roman Polanski.

Trois juges indépendants

« Très confiant », le Valaisan évoquera l’existence d’un « contrat oral », légal dans le droit suisse, passé avec l’ex-patron de l’UEFA. Il entend surtout démontrer qu’il n’a pas cherché à tirer profit de ce « deal », honorant simplement ses dettes.

Opéré d’un cancer de la peau en juillet, marqué par la disparition, le 16 août, de son prédécesseur (1974-1998), le brésilien Joao Havelange, l’octogénaire a méticuleusement préparé son intervention, ces dernières semaines, avec ses défenseurs.

L’ex-empereur du ballon rond sera auditionné par trois juges « indépendants. » Sepp Blatter et ses conseillers ont désigné comme arbitre le Suisse Patrick Lafranchi, avocat domicilié à Berne. La FIFA a, elle, jeté son dévolu sur l’expert canadien Andrew McDougall. Le président de ce panel sera le Néerlandais Manfred Peter Nan.

Alors qu’il rendra sa décision courant septembre, le TAS doit une nouvelle fois se pencher sur ladite affaire du versement des 2 millions de francs suisses. Le 24 septembre 2015, le parquet suisse avait ouvert une procédure pénale à l’encontre de Sepp Blatter pour ce versement « déloyal » effectué « prétendument » pour des travaux réalisés par Michel Platini lorsqu’il officiait (entre janvier 1999 et juin 2002) comme conseiller du président de la FIFA. Le 8 octobre 2015, le tandem avait été suspendu provisoirement quatre-vingt-dix jours par le comité d’éthique de l’instance faîtière du ballon rond.

Sepp Blatter et Michel Platini, le 29 mai 2015. | ARND WIEGMANN / REUTERS

A l’instar de son ancien dauphin, Sepp Blatter avait été révoqué, le 21 décembre 2015, pour huit ans pour « abus de position », « gestion déloyale » et « conflit d’intérêts » par le comité d’éthique en vertu de ce fameux versement de 2011 « sans base légale dans le contrat signé par les deux parties le 25 août 1999.

Candidat à la succession du patriarche suisse, Michel Platini a été contraint de déclarer forfait, le 7 janvier. Le 24 février, la commission des recours de la FIFA a allégé de deux ans la sanction infligée au duo au regard « des services » rendus au ballon rond.

Le 9 mai, le panel du TAS s’était positionné sur le fond de l’affaire, confirmant à l’unanimité la suspension de Michel Platini tout en l’allégeant. Le TAS n’avait pas été « convaincu de la légitimité de ce versement de 2 millions de francs suisses reconnu par les seuls Messieurs Platini et Blatter, intervenu plus de huit ans après la cessation des rapports de travail, ne reposant sur aucun document établi à l’époque des relations contractuelles, et ne correspondant pas à la part du salaire prétendument impayée ». « La Formation a aussi constaté que M.Platini a bénéficié rétroactivement de l’extension d’un plan de prévoyance auquel il n’avait pas droit », ajoutait l’instance dans son communiqué.

« Les faits sont clairs et nets »

Dans ce contexte, la partie n’est-elle pas déjà jouée ? « Cette audience ne changera rien, souffle un dirigeant de la FIFA. Les faits sont clairs et nets. Je commenterai cet épisode en pensant à Don Quichotte et Sancho Panza de Cervantes qui se battaient contre des moulins à vent. »

Cette audience se tiendra alors que la FIFA a révélé, le 3 juin, les conclusions d’une enquête interne réalisée par le cabinet californien Quinn Emanuel, qui défend ses intérêts. Ce rapport mettait au jour le versement, entre 2011 et 2015, de 80 millions de dollars (71 millions d’euros) à Sepp Blatter, à son secrétaire général français Jérôme Valcke (2007-2015), radié dix ans, et à l’Allemand Markus Kattner, directeur financier et secrétaire général par intérim de l’instance, licencié le 23 mai pour des « manquements » dans ses activités.

Cette enquête soulignait un « effort coordonné de trois anciens dirigeants de la FIFA pour s’enrichir eux-mêmes via des augmentations de leur salaire annuel, des bonus liés aux Coupes du monde et d’autres avantages » et pointait des « manquements aux obligations fiduciaires ». La FIFA a d’ores et déjà partagé ces données avec le parquet suisse et entend saisir son comité d’éthique et la justice américaine.

L’audition de Sepp Blatter est programmée alors que le comité d’éthique de la FIFA a blanchi, le 5 août, son successeur et compatriote Gianni Infantino, élu à la présidence de l’organisation le 26 février. Le tribunal interne de la Fédération avait mené une enquête formelle, ciblant des vols d’avion effectués par le nouveau patron du foot mondial ainsi que son refus de signer son contrat avec l’institution.

De son côté, Sepp Blatter fait preuve d’un optimisme à toute épreuve avant d’être entendu par les « sages » de Lausanne. « Je vais lutter jusqu’au bout, confiait-il au Monde, en décembre 2015, au moment de faire appel devant le TAS. Et s’il le faut, j’irai jusque devant la justice suisse. » Pour un dernier baroud d’honneur ?