Leslie Jones à la première américaine de « Ghostbusters », le 9 juillet. | Jordan Strauss / AP

Harcèlement collectif sur Twitter, insultes sexistes, comparaisons animalières racistes, et maintenant le piratage de son site personnel avec publication de photos de nu, d’informations personnelles et d’une vidéo de gorille : l’actrice américaine Leslie Jones essuie depuis plusieurs semaines une campagne de haine d’une violence inouïe.

Si elle n’est pas la première femme à être victime de harcèlement en ligne, celle-ci fait aujourd’hui figure de tête de turc attitrée d’une communauté en ligne aux contours difficiles à identifier mais aux arguments bien rôdés et aux pratiques récurrents. Pourquoi tant d’acharnement ?

Une actrice militante

Avant même ses opinions, Leslie Jones a d’abord été jugée « coupable », par ses détracteurs, de figurer au générique de S.O.S. Fantômes, de Paul Feig. Reprise d’une franchise culte des années 1980, le long-métrage réécrit l’épisode d’origine en remplaçant entièrement le casting masculin de départ par des femmes. Cette approche féministe, associée dès mars à une bandes-annonces à l’humour qui n’a pas fait l’unanimité, a valu à cette dernière plus d’un million d’avis négatifs sur YouTube (contre 290 000 positifs).

Le rejet du film et de son casting ne s’appuie pas seulement sur une critique cinématographique. En plus d’être actrice, Leslie Jones s’avère être une féministe militante, et sympathisante du mouvement de défense du droit des Noirs, Black Lives Matter. La campagne extrêmement virulente contre l’actrice qui a eu lieu début juillet, au moment de la sortie du film, a joué sur tous ces tableaux. Leslie Jones a alors été victime d’insultes sexistes et racistes sur Twitter d’une extrême violence, la comparant par exemple de manière récurrente à un singe.

Ces attaques étaient l’œuvre d’un mouvement américain néoconservateur et suprémaciste, qui se décrit comme libertarien, antiféministe, a adopté depuis peu l’étiquette d’« Alt-Right » (version raccourcie de « droite alternative »). Il est né sur Internet et s’attaque aux initiatives féministes et antiracistes dans les industries du jeu vidéo. Parmi ses thèmes favoris : l’éloge de fictions supposées apolitiques, ou prôner le statu quo qui n’altérerait pas la représentation traditionnelle des hommes blancs dans les divertissements populaires.

Défense des « hommes blancs »

« Les cyberagresseurs visent les gens qui sont différents parce qu’ils veulent revitaliser les normes de l’hétérosexualité, du genre d’appartenance, de l’ethnie, etc. », explique Diane Felmlee, professeur de sociologie à Penn State (Pennsylvanie), à propos du mouvement ayant attaqué Leslie Jones au cours de l’été. Comme l’explique au Guardian le chercheur américain en sciences politiques Dan Cassino :

« Le mythe fondateur de l’Alt-Right est que les groupes désavantagés dans la société américaine sont en ce moment en train de diriger les choses grâce à une combinaison d’imposture et d’intimidation. Ce faisant, ils oppressent les hommes blancs. »

Ce mouvement réactionnaire n’a pas de porte-parole attitré, ni de structure à proprement parler. Il évolue de manière organique sur des forums ultralibertaires comme Voat ou 8chan, où l’on se vante de n’avoir aucune censure ni aucune modération. Cela serait le signe, à leurs yeux, d’une dépossession de leur liberté d’expression par le lobby des « social justice warriors », ces militants progressistes qu’ils tiennent tant en mépris et dont Leslie Jones est l’une des figures.

Signe que leur liberté d’expression, qu’il revendique totale, est une composante majeure de leur identité, les mouvements Alt-Right se sont constitués pour la plupart au moment de la mise en place d’une modération plus stricte sur les forums Reddit et 4chan. Ils se sont alors fui ces espaces de discussions et se sont rabattus sur les sites dont Voat et 8chan, qui gardaient une absence de modération.

Milo Yiannopoulos ironise

Le réseau social Twitter, qui a longtemps fait figure de terrain de jeu idéal pour les Alt-Right en raison de la faiblesse de sa modération, a pris position fin juillet à la surprise générale en bannissant définitivement de son compte Milo Yiannopoulos, grand apôtre de la provocation en ligne. Celui-ci s’était justement attaqué violemment à l’actrice Leslie Jones, avant de voir son compte suspendu.

« Si Twitter n’avait pas banni Milo Yiannopoulos, je parie que [le piratage du site de Leslie Jones] n’aurait pas eu lieu », suggère même Marc Randazza, avocat spécialisé dans le revenge porn, la diffusion sans consentement d’images intimes d’une personne. A ce jour, l’auteur du piratage du site de Leslie Jones n’est pas connu, le gouvernement fédéral n’ayant ouvert une enquête que le 25 août. Sur son compte Snapchat, Milo Yiannopoulos s’est contenté d’ironiser, lunettes de soleil sur le nez : « Saloperie de karma. Merde, je viens d’apprendre pour Leslie Jones. Je ne savais pas ! Oublie cette histoire de karma, lol. »