L’arrêté « anti-burkini » a « porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ». C’est ce qu’a estimé le Conseil d’Etat dans son ordonnance du 26 août qui suspend l’arrêté de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) contre les tenues de plage qui ne respectent pas « les bonnes mœurs et le principe de laïcité ».

Plusieurs personnalités de droite et d’extrême droite hostiles à cette décision réclament d’ores et déjà une loi pour interdire la tenue de baignade. Une idée qui pourrait se heurter à plusieurs obstacles.

Une loi « copier-coller » de l’arrêté de Villeneuve-Loubet ?

POURQUOI C’EST FRAGILE JURIDIQUEMENT

L’arrêté de Villeneuve-Loubet, pensé pour lutter contre le « burkini », était en fait beaucoup plus large. Il interdisait l’accès à la plage à « toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime ».

Le Conseil d’Etat dit dans son jugement que ce texte portait une atteinte « grave et manifestement illégale » à trois libertés fondamentales : la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. En l’absence de risques avérés pour l’ordre public ou de problématique de sécurité de la baignade, d’hygiène ou même de décence, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour justifier l’interdiction. Pas même le « contexte » post-attentats.

Or, ces arguments sont constitutionnels : « Ils s’appliqueraient donc aussi à une loi », tranche Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille. Il y a donc toutes les chances que le Conseil constitutionnel s’oppose à une loi qui reposerait sur les mêmes fondements que l’arrêté de Villeneuve-Loubet, sauf à modifier la Constitution.

Une loi visant uniquement le burkini ?

POURQUOI C’EST FRAGILE JURIDIQUEMENT

Dès lors, on pourrait imaginer ne cibler que le burkini. Mais cette solution serait sans doute fragile juridiquement. En 2010, alors que le gouvernement réfléchissait aux manières d’interdire le port du voile intégral, le Conseil d’Etat avait présenté une étude sur les possibilités juridiques d’une telle mesure. Il avait alors exclu l’idée d’interdire le seul voile intégral.

L’argument de la laïcité avait été « résolument » écarté. La laïcité s’applique « principalement » dans la relation entre collectivités publiques et religions, relevait la haute juridiction. Ce qui justifie, par exemple, l’obligation de neutralité pour les agents de services publics. Le Conseil d’Etat jugeait en revanche que la laïcité « ne peut s’imposer directement à la société ou aux individus qu’en raison des exigences propres à certains services publics ». La loi de 2004 sur le port de signes ou tenues religieux dans les écoles entre dans ce cadre, mais pas une interdiction du voile intégral.

Le Conseil d’Etat avait également écarté les principes de dignité et d’égalité femmes-hommes comme justification de l’interdiction. Résultat : le gouvernement avait suivi la recommandation de la haute juridiction, à savoir de viser la « dissimulation du visage dans l’espace public », et pas les signes religieux.

Suivant ce raisonnement, une loi qui ne ciblerait que le burkini aurait de fortes chances d’être rejetée par le Conseil constitutionnel, estime Jean-Philippe Derosier.

Trouver une autre formulation pour éviter la censure ?

POURQUOI C’EST COMPLIQUÉ

Rien n’interdit en revanche de réfléchir à une autre solution juridique pour contourner ces problèmes, comme cela avait été le cas avec la loi de 2010. Reste à savoir laquelle. Pour le professeur de droit public, l’analogie est moins évidente qu’avec la dissimulation du visage : « Ce serait par exemple ridicule d’interdire de se baigner vêtu, répond-il. Cela poserait problème à ceux qui le font pour se protéger du soleil, pour cacher des cicatrices, etc. »

Il faudra bien sûr attendre des propositions détaillées, comme la proposition de loi qu’annoncent les députés Les Républicains Guillaume Larrivé et Eric Ciotti, pour en évaluer la faisabilité. L’idée d’une loi « anti-burkini » semble néanmoins avoir tout du casse-tête juridique.