L’attaque, non revendiquée, a fait au total seize victimes, dont huit étudiants et un enseignant pleins d’espoirs pour l’Afghanistan. | Rahmat Gul / AP

Sami Sarwari avait de grands rêves, aussi bien pour son pays, l’Afghanistan, que pour lui-même. L’Afghan de 18 ans au visage enfantin avait d’ailleurs tout fait pour décrocher une bourse à l’université américaine de Kaboul, le plus prestigieux établissement en Afghanistan. Rêve accompli, le 23 août, il s’était ainsi réjoui sur sa page Facebook : « Je suis dedans. En attendant un bel avenir lumineux. »

Le lendemain, Sami Sarwari a été tué lors d’une attaque terroriste contre l’université, située dans le centre de Kaboul. L’attaque, non revendiquée, a fait au total seize victimes – dont huit étudiants, un enseignant, trois policiers et deux gardes de l’université et de l’école avoisinante – et 53 blessés, rapportent les autorités. Deux assaillants ont été tués par la police lors de son opération de sécurisation du campus.

Comme Sami Sarwari, les autres étudiants, Jamshid Zafari, Zubayr Zoka, Mutjaba Eksir, Alnaz Jamal, Abdul Walid (le nom de l’une des victimes n’est pas pour l’heure annoncé), ainsi que l’enseignant Naqib Ahmad Khpulwak constituaient l’élite éduquée et intellectuelle de la société afghane. Ils avaient tous choisi de vivre dans leur pays natal plutôt que de prendre le chemin de l’exil, comme l’ont fait et continuent à le faire des milliers d’Afghans, partant vers l’Europe à la recherche d’une vie plus sûre. Des jeunes consciencieux qui auraient pu contribuer à la construction d’un nouvel Afghanistan, un pays moderne et loin de l’obscurantisme.

Sami Sarwari, lui, avait déjà dû faire face au terrorisme. Fin 2014, il était sur scène dans le Centre culturel français de Kaboul, jouant de son instrument traditionnel, le dilruba, lorsqu’un kamikaze s’était fait exploser dans l’assistance. « Avant, il voulait se faire une carrière dans la musique, pour sa famille et pour l’Afghanistan, se rappelle le directeur de l’Institut national de la musique d’Afghanistan, Ahmad Sarmast, qui connaissait de près Sami Sarwari. Mais après, par crainte d’autres attentats et à cause de l’extrême pauvreté de sa famille, il a décidé de choisir une autre voie professionnelle pour pouvoir venir en aide le plus rapidement possible à sa mère, veuve, qui travaillait comme femme de ménage chez des gens. »

Voir ci-dessous une vidéo de sa performance au Danemark :

Afghan Peace Ensemble 2 (2013)
Durée : 05:01

« Tu resteras notre moteur contre l’obscurantisme »

Comme Sami Sarwari, Alnaz Jamal, 18 ans, venait de commencer ses études en sciences politiques. « Elle a été la première fille de notre grande famille à avoir réussi à obtenir une bourse, se rappelle l’un de ses cousins, Omaid Sharifi, depuis Kaboul. Elle en était extrêmement heureuse. » La jeune fille rêvait de finir ses études, trouver du travail et aider son père, un vendeur ambulant pauvre. « Pour elle, le plus important était que ses petits frères puissent eux aussi continuer leurs études », explique Omaid Sharifi. Lorsque la famille a enfin trouvé dans la morgue le corps de la jeune fille, ses jambes étaient déformées. « Elle avait certainement sauté du bâtiment où elle avait cours pour s’échapper aux assaillants, avant d’être touchée par belles, derrière la tête. »

Abdul Walid, le jeune directeur de l’association Afghanistan libre, engagée dans l’éducation, avait lui aussi obtenu une bourse à l’université américaine de Kaboul. « Depuis dix ans et même son adolescence, Walid avait beaucoup fait pour l’éducation des filles, écrit sur sa page Facebook la fondatrice d’Afghanistan libre, Chékéba Hachemi. Cher Walid, tu resteras notre moteur contre le terrorisme et l’obscurantisme. »

Dans un pays déchiré par la guerre et les violences entre des Pachtounes sunnites, majoritaires dans le pays, et les Hazaras, persécutés pour leur confession chiite, Naqib Ahmad Khpulwak était « un trésor », dit Mubarak Shah Niazi, l’un des anciens étudiants de cet enseignant au département de droit. « Il était lui-même pachtoune et sunnite, mais il défendait lors de ses cours le chiisme et ses fidèles, ce qu’on ne voit guère dans les universités afghanes. Pour l’Afghanistan, il voulait l’unité nationale. »

« Notre pays a besoin de nous »

Naqib Ahmad Khpulwak était retourné à Kaboul après avoir terminé, en 2013, son master en droit à l’université américaine de Stanford. « Parce qu’il voulait faire avancer l’Afghanistan, se rappelle Mubarak Shah Niazi. Il aidait les étudiants à obtenir des bourses à l’étranger et les conseillait de retourner ensuite en Afghanistan. »

Connaissant le poids important de l’islamisme dans la société traditionnelle afghane, cet enseignant de 32 ans maîtrisait parfaitement le droit coranique. « Il disait que pour être accepté par les notables de la société, il fallait parler avec leur vocabulaire et connaître leurs arguments », se rappelle une autre étudiante, Maryam Danesh.

Avec ces jeunes Afghans pleins d’espoirs pour l’Afghanistan sont peut-être aussi partis l’insouciance et le sentiment de sécurité régnant jadis à l’université américaine de Kaboul, qui compte quelque 1 600 étudiants. Même si l’établissement n’est plus « la bulle » qu’il était avant, nombreux sont les étudiants, ayant échappé à l’attaque, qui ne veulent aucunement renoncer à leurs études et à leurs rêves. « Mon plus grand souhait était d’entrer dans cette université, soutient depuis Kaboul Maryam Danesh. Il n’est pas question que je laisse tomber mes études dans cette université. Notre pays a besoin de nous. »