Bilyamini n’aime pas jouer au football. Quand les garçons du village se font des passes dans le sable, il n’arrive jamais à attraper le ballon, encore moins à marquer un but. Il s’essouffle et retourne, le pas traînant, pleurer dans les bras de sa mère. A 3 ans et demi, il est plus petit que ses camarades, plus maigre aussi. Santé fragile, croissance faible et humeur lunatique. Bilyamini est atteint de « marasme ». L’un des deux types de malnutrition infantile avec le « kwashiorkor », célèbre par son exposition médiatique à chaque crise alimentaire en Afrique. Leur différence ? Le kwashiorkor est un déséquilibre alimentaire marqué par les carences protéiques, le marasme, par les carences caloriques. Les deux entraînent une fonte musculaire, des œdèmes, l’apathie et, parfois, la mort.

Les enfants de Galata, petit village nigerien, jouent près des greniers à mil. | Matteo Maillard

Bilyamini est né en 2012 dans le village de Galata au Niger, un éclat de verdure dans un paysage lunaire, isolé, à 35 km de Tahoua, la ville la plus proche. Sa mère, Rabi Amadou, 35 ans, a péché par méconnaissance. Sur les conseils de la famille, elle a remplacé le lait maternel qu’elle donnait à son bébé de 3 mois par de l’eau, plus abondante au puits, mais dangereuse car insalubre et ne contenant pas les nutriments indispensables à la croissance du nourrisson. « Je lui cuisinais la boule », justifie-t-elle, une préparation liquide à base d’eau, de mil et de lait de vache. Cette bouillie crue fermente rapidement et les bactéries prolifèrent. Un met que ne peut pas supporter l’estomac d’un jeune enfant. « Il a eu des diarrhées, il a perdu du poids rapidement et son ventre a gonflé », se souvient-elle.

Une femme de Galata à la fontaine du village, récemment installée. | Matteo Maillard

Elle pensait au départ que c’était dû à la poussée dentaire, ou à une inflammation de la luette, une excroissance qui pend à l’entrée de la gorge et que l’on coupe par tradition dans cette région. Mais son état s’affaiblissant quatre mois après sa première gorgée d’eau, et les décoctions de plantes ne faisant pas effet, elle s’est décidée à l’amener dans un centre de santé.

Morosité et difficultés motrices

Le village n’ayant pas de relais communautaire pour prodiguer les premiers soins, elle a dû marcher 9 km dans le désert à l’ouest de Galata. Bilyamini y a été placé en « récupération nutritionnelle ambulatoire sévère ». « Quand un enfant arrive dans un état de malnutrition aiguë, nous lui donnons immédiatement un traitement à base de lait thérapeutique et de suppléments alimentaires, d’acide folique, de vitamine A, d’antibiotique et d’un antipaludique », explique Zakaria Yaou Alou, médecin chef du centre de santé.

Bilyamini a survécu grâce aux soins. Il a récupéré des forces et du poids, mais son corps sera marqué à vie par les séquelles de la malnutrition. Il ne sera jamais aussi grand et aussi fort que ses camarades du même âge. Près de trois ans après cet épisode, il en a aussi gardé la fatigue, la morosité et des difficultés motrices. Aux jeux d’enfants, il préfère la pénombre du foyer dans laquelle il se réfugie l’œil curieux.

Bilyamini préfère la pénombre du foyer aux jeux d’enfants. | Matteo Maillard

Le cas de Bilyamini et de Rabi Amadou est loin d’être unique. Dans les villages isolés du Niger et de la bande sahélienne, l’absence de structures de santé, de personnel qualifié et la méconnaissance des règles nutritionnelles de base entraînent de nombreux cas de malnutrition. Il n’est pas rare que les enfants faibles soient emportés par la maladie. Avant d’avoir Bilyamini, Rabi Amadou avait perdu trois enfants sur les sept qu’elle a eus. Le premier est décédé à 3 mois d’une hypotonie (perte du tonus musculaire), le deuxième à un an d’une fièvre, le cinquième, frappé d’anémie, est mort à l’hôpital de Tahoua. « Qu’est-ce que je pouvais y faire ?, lance-t-elle attristée. C’est la volonté de Dieu. Ça fait mal mais je me résigne. Ici les femmes sont nombreuses à perdre des enfants. »

Zakaria, 1 an et demi, le petit frère de Bilyamini, a bénéficié des conseils délivrés par le relais communautaire. Il n’a pas souffert de malnutrition. | Matteo Maillard

Lent recul

A côté de Bilyamini, son petit frère Zakaria, un an et demi, s’agite sur la natte. Dès sa naissance, sa mère l’a été nourri au sein. Rabi Amadou prévoit de continuer l’allaitement jusqu’à ses 2 ans, comme un relais communautaire le lui a conseillé, selon les recommandations de l’OMS. Depuis 2014, dans la région, 108 relais communautaires formés par l’ONG irlandaise Concern, financés par le Fonds français Muskoka (partenaire du Monde Afrique) et l’Unicef, sillonnent les villages comme Galata pour sensibiliser les populations.

« Ils effectuent des activités préventives et curatives en couvrant toute l’aire de Sarfarfari, soit 11 773 habitants dans 7 villages et 4 hameaux, avance Zakaria Yaou Alou, le médecin chef. Cela a permis de réduire le nombre d’enfants malnutris. Ce mois de mai, nous avons décompté 39 cas de malnutrition contre plus de cinquante auparavant. C’est encourageant. » A tel point que, si son travail de mère lui laisse un peu de temps, Rabi Amadou souhaiterait être formée pour devenir relais à son tour. Une revanche de la vie.

Rabi Amadou porte Zakaria, son petit dernier de 1 an et demi. | Matteo Maillard

Le sommaire de notre série « Un combat pour la vie »

Voici, au fur et à mesure, la liste des reportages de notre série d’été à la rencontre des femmes du Sahel. Le voyage va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad. En tout, 27 épisodes, publiés du 1er août au 2 septembre 2016.

Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.