File d’attente lors d’une distribution de repas dans le camp de Calais (Pas-de-Calais), le 23 août. | Michel Spingler / AP

Editorial du « Monde ». On croyait le pire atteint lorsque le nombre de réfugiés dans la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais) a passé le cap des 6 000, en octobre 2015. Plus qu’une « jungle », écrivions-nous alors, Calais est une honte. Que dire alors de la situation aujourd’hui, lorsque le nombre d’habitants de ce bidonville approche 10 000, dont plus de 800 mineurs sans famille ?

L’aggravation de la menace terroriste en France a détourné les projecteurs – et les priorités des autorités de l’Etat – de Calais. Mais les migrants, eux, ont continué à affluer. Jamais ils n’ont été aussi nombreux à Calais, même si les chiffres de la préfecture (6 900) et ceux des associations (plus de 9 000) diffèrent. Et les conditions de vie dans la « jungle » se sont détériorées puisque, après l’évacuation de la zone nord du campement en février, la surface « habitable » est réduite de moitié.

Les tentes ont refait surface, car la police a pour instructions d’interdire l’introduction de matériaux de construction. Les tensions entre migrants, en particulier entre Afghans et Soudanais, sont de plus en plus vives ; elles ont encore coûté la vie à un réfugié soudanais le 23 août. La situation est également de plus en plus difficile pour les riverains, et pour les forces de police, mobilisées aux abords de la « jungle » alors qu’elles ont tant à faire ailleurs.

Juridiquement, la situation a évolué. La population du campement se divise à présent en deux catégories : une partie des migrants cherche toujours à gagner la Grande-Bretagne, le plus souvent en se hissant clandestinement à bord des poids lourds qui franchissent la Manche ; une autre est prête à y renoncer pour demander l’asile en France. Essentiellement originaires du Soudan, ces candidats à l’asile paraissent aujourd’hui constituer la majorité des migrants présents à Calais. C’est une nouveauté, qui montre que la campagne des autorités pour convaincre les candidats au départ qu’ils n’ont aucune chance de franchir la Manche clandestinement, afin de vider la jungle, a en partie fonctionné.

La réalité rattrape les meilleures volontés

Cette évolution pose deux séries de problèmes au gouvernement. D’abord, le débat sur l’opportunité ou non de renégocier les accords franco-britanniques du Touquet, aux termes desquels la France assure de ce côté-ci de la Manche la frontière britannique, moyennant une participation financière de Londres. Inévitablement, plusieurs candidats à l’élection présidentielle de 2017 se sont emparés de ce débat : Nicolas Sarkozy, notamment, réclame une dénonciation de ces accords qu’il a lui-même conclus en 2003 lorsqu’il était ministre de l’intérieur.

L’autre défi pour l’équipe au pouvoir est celui de l’organisation du processus de demande d’asile, notoirement lent en France, et encore rallongé par la complexité de la procédure européenne en vigueur, dite de Dublin. Le nombre de places disponibles pour les réfugiés dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) reste très insuffisant, alors que ces centres sont un maillon essentiel du dispositif pour vider la jungle.

Le gouvernement n’est pourtant pas resté inactif à Calais. Beaucoup de choses ont été faites depuis un an, et dans le bon sens. Mais la réalité rattrape les meilleures volontés : loin de se tarir, la pression migratoire s’est intensifiée et n’est pas près de se relâcher. C’est une réalité qu’il faut accepter comme un fait majeur, en se donnant les moyens d’y faire face. Sans quoi l’explosion redoutée à Calais finira par se produire.