Présidentielle au Gabon : les deux camps revendiquent la victoire
Présidentielle au Gabon : les deux camps revendiquent la victoire
Par Christophe Châtelot (Libreville, envoyé spécial)
Les résultats officiels du scrutin entre l’opposant Jean Ping et le chef de l’Etat sortant, Ali Bongo, devraient être connus mardi.
Le président gabonais sortant, Ali Bongo Ondimba, le 27 août à Libreville. | MARCO LONGARI / AFP
Dans une capitale anesthésiée par l’attente des résultats de la présidentielle du samedi 27 août, il n’y eut guère, dimanche à Libreville, que deux endroits qui vibrèrent un instant : le Jardin botanique et le carrefour des Charbonnages. L’émotion fut brève. Pourtant, c’est là, dans leurs QG de campagne respectifs, que les deux principaux candidats et adversaires, à la présidentielle au Gabon – Ali Bongo Ondimba (57 ans), président sortant briguant un nouveau septennat, et Jean Ping (73 ans), l’ex-compagnon de sa sœur et ancien président de la Commission de l’Union africaine – annoncèrent l’un et l’autre qu’ils avaient remporté haut la main l’élection présidentielle.
Avant même la proclamation officielle des résultats prévue mardi, le scrutin dans cette ancienne colonie française d’Afrique centrale dirigée pendant quarante et un ans par Omar Bongo Ondimba, le père d’Ali, aurait donc deux gagnants. Un de trop. Qu’en pensent les électeurs, chauffés par une campagne électorale à l’ambiance délétère, globalement éreintés par les difficultés économiques d’un pays pétroliers soumis à la chute des cours de l’or noir ?
« Fraude congénitale »
Certes, les deux candidats ont tenté de mettre les formes à leurs affirmations péremptoires. Aux Charbonnages, tout en revendiquant une victoire imparable, Jean Ping a demandé à ses partisans d’attendre la publication « des vrais résultats de la Cénap [la Commission électorale nationale autonome et permanente] ». Ceux-ci devraient intervenir sous quarante-huit heures, selon le ministère de l’intérieur. Dans le même temps, il se déclarait « élu (…) en dépit de la fraude congénitale de ce régime », auquel il a d’ailleurs appartenu pendant de si longues années, occupant les plus hautes fonctions au temps d’Omar Bongo Ondimba.
Des partisans du chef de l’opposition, Jean Ping, à Libreville le 28 août. | STRINGER / REUTERS
« Je sais comment nous trichions », nous avait-il d’ailleurs déclaré avant le vote pour justifier sa vigilance. Aujourd’hui, il attend « que le pouvoir accepte le résultat des urnes et [lui] téléphone pour [le] féliciter ». « Si on ne reconnaît pas notre victoire, la situation va déraper », avertissait aussi Georges Mpaga, président du Réseau des organisations libres pour la bonne gouvernance (ROLBG), rencontré lors de l’autoproclamation de Jean Ping.
Iront-ils jusque-là alors que leur espoir pourrait bien être déçu ? Car peu de temps après la déclaration de Jean Ping, le chef de l’Etat sortant, au Jardin botanique, venait remercier, dans une courte allocution prononcée sous une immense tente climatisée, tous ceux qui avaient participé à sa (coûteuse) campagne électorale. « Nous sommes légalistes et républicains et nous attendons sereinement que la Cénap annonce les résultats », prenait-il soin de préciser.
Mais devant le même pupitre, devant le même public, quelques secondes auparavant, son porte-parole de campagne et ministre de la communication, Alain-Claude Bilie-By-Nzé, avait été plus explicite. Dénonçant « la confiscation malhonnête et illégale des résultats » par le camp d’en face, il proclamait dans le même temps que « comparativement à 2009, le candidat Ali Bongo Ondimba voit en effet son score progresser dans toutes les provinces de notre pays, y compris dans celles qui lui avaient été extrêmement défavorables à la dernière présidentielle ».
Règlements de comptes ?
Une élection au résultat controversé, alors remportée avec 41 % des voix – la présidentielle gabonaise se joue à un tour – et ponctuée par des émeutes meurtrières. « Au vu de l’ensemble de ces résultats, il apparaît très clairement que le candidat Ali Bongo Ondimba est largement en tête et en possession d’une avance qui ne peut plus s’inverser », concluait cependant Alain-Claude Bilie-By-Nzé. La salle jubilait.
L’opposant gabonais Jean Ping, à Libreville le 28 août. | MARCO LONGARI / AFP
Cette guerre des communiqués et des déclarations va-t-elle finir par dégénérer ? « Au pouvoir, beaucoup de gens ont trop à perdre de ce système familial et ne veulent pas partir. Quant aux quartiers populaires et défavorisés acquis à l’opposition, ils risquent de ne pas comprendre l’annonce des résultats si on proclame Ali Bongo vainqueur. Dans ces cas-là, il pourrait y avoir de nouveau des violences politiques, des pillages et des règlements de comptes », s’inquiète un diplomate européen. L’histoire gabonaise n’en est pas exempte. Dimanche, dans les rues de Libreville, on ne pouvait ignorer la présence des forces de sécurité, « bien entraînées et équipées », selon un militaire étranger.
Comment rapprocher les deux camps qui proclament avant terme une victoire certaine dont seules des fraudes massives ou des émeutes, disent-ils, pourraient les priver ? A cette heure, les centaines d’observateurs internationaux déployés le jour du scrutin n’ont fait état d’aucun problème majeur dans les quelque 2 500 bureaux de vote ouverts dans le pays pour les 650 000 électeurs gabonais. Un code électoral exigeant, la présence d’observateurs étrangers ne semblent pas en mesure de restaurer la confiance entre deux parties engagées dans une lutte acharnée.