L’actrice sud-coréenne Kim Ja-yeon a perdu son emploi après avoir posté sur Twitter la photographie du tee-shirt qu’elle portait. | Twitter @KNKNOKU

L’éditeur coréen de jeux vidéo en ligne Nexon, coté à la Bourse de Tokyo, a licencié une actrice prêtant sa voix à l’un des personnages du jeu vidéo Closers en juillet, après avoir reçu des plaintes de joueurs. Il est reproché à Kim Ja-yeon d’avoir posté une photographie où elle arbore un tee-shirt frappé de l’inscription « Girls Do Not Need a Prince », littéralement « Les filles n’ont pas besoin de prince ».

Contacté par la BBC, Nexon a confirmé avoir mis un terme à sa relation contractuelle avec l’actrice, et que sa voix ne serait plus utilisée. « Nous avons entendu les protestations de la communauté des joueurs et avons décidé de la faire remplacer », annonce-t-il. Closers est un jeu de rôle en ligne qui se déroule à Séoul en 2020 et met aux prises des étudiants dotés de pouvoirs psychiques avec des monstres.

Megalia, un groupe féministe très actif

La photographie a été considérée comme un signe de ralliement de l’actrice au groupe féministe Megalia, qui a mis en vente des tee-shirts similaires à celui porté par Kim Ja-yeon. Interpellée sur Internet, l’actrice, citée par Korea Times, a refusé de présenter ses excuses : « Je n’ai rien à reprocher à Megalia et à son travail. J’apporte mon soutien à toutes les causes que je crois justes et je suis prête à en assumer les conséquences, même si l’on me désavoue. »

Megalia a mené plusieurs campagnes jugées choquantes en Corée : appel au meurtre d’hommes, étalage de serviettes hygiéniques dans des ruelles, encouragement à l’avortement pour les femmes enceintes de garçons… Une rhétorique violente, mais « cette vulgarité et ce discours de haine ne sont qu’un retournement complètement assumé (technique du « mirroring » ou mimétisme) des propos tenus sur les forums par des hommes », explique Katharine Moon, universitaire spécialiste des mouvements sociétaux en Asie, pour qui le groupe n’a rien d’extrémiste.

« Il ne faut pas oublier que Megalia a pris part à des mobilisations féministes beaucoup plus conventionnelles. Le mouvement a soutenu des collectes de fonds pour des campagnes d’affichage contre l’hypersexualisation des femmes, ou pour l’action de la politicienne Jim Sunmpee visant à faire fermer un portail coréen de pornographie publiant des vidéos prises par des caméras de vidéosurveillance placées dans tout le pays. Megalia a fait un don de 5 000 euros à une organisation non gouvernementale venant en aide aux mères seules. Le mouvement a également obtenu le retrait par le ministère de l’environnement de solutions concentrées d’acide chlorhydrique, utilisées dans certaines attaques d’hommes sur des femmes », détaille l’universitaire au Monde.

Avant d’être licenciée par Nexon, Kim Ja-yeon prêtait sa voix à un personnage du jeu vidéo coréen Closers. | Capture Youtube

Changements sociétaux et pays ultraconnecté

« Dès la démocratisation de la Corée du Sud, au début des années 1980, les femmes ont pris part à la société civile et à la vie politique. Dans les années 1990, les Coréennes ont entamé leur lutte pour l’égalité et le respect de leurs droits. Aujourd’hui encore, la société perpétue l’inégalité à travers des sanctions légales ou sociales, mais de nombreuses jeunes femmes accèdent à des postes de responsabilité au sein de l’armée ou dans les hôpitaux, auparavant réservés aux hommes », décrit Katharine Moon, qui voit dans le succès de ces femmes une source d’angoisse supplémentaire pour de jeunes hommes en proie à un chômage galopant – le chômage touche trois fois plus les jeunes Coréens que leurs aînés.

Dans un pays ultraconnecté où la vie en ligne a pris une place considérable, c’est sur les forums que se sont réunis les partisans d’une relégation des femmes aux seuls rôles de mères et de femmes au foyer. Sur ces espaces sont apparus de nouveaux termes et expressions génériques perpétuant les stéréotypes et allant jusqu’à banaliser la violence.

Ainsi, dès le début des années 2000, le terme « doeonjangnyeo » se répand sur la toile. Construit à partir de doenjang, une soupe de pois fermentés, le terme décrit une femme qui s’inflige des plats peu ragoûtants et très abordables dans le but de dépenser des sommes folles dans des produits de luxe. L’expression « kimchinyeo » désigne une femme qui attend de son petit ami qu’il paye absolument tout. Ces néologismes insistent sur le prétendu matérialisme des femmes coréennes. La communauté du site ultraconservateur et prônant un retour à la dictature ilbe utilise également le terme « samilhan » qui est la contraction de « femme devant être battue une fois tous les trois jours ».

Ces espaces de misogynie débridée légitiment les actes les plus cruels, comme en mai lorsqu’un homme de 34 ans a poignardé une jeune femme de 24 ans près de la station de métro Gangnam. Le meurtrier, qui ne connaissait pas sa victime, a expliqué avoir agi après avoir été ignoré par de nombreuses femmes.

Si la prospère Corée du Sud est dirigée par une femme depuis 2013, le pays du Matin-Calme se classe à la 115e place du classement des inégalités établi par le Forum économique mondial de Davos qui recense 145 pays.