Emmanuel Macron et Manuel Valls le 10 avril à Alger. | FAROUK BATICHE / AFP

Le ministre de l’économie Emmanuel Macron va annoncer, dans l’après-midi du mardi 30 août, qu’il démissionne du gouvernement. En deux ans, il est devenu le ministre le plus populaire de François Hollande. Mais depuis le début de l’année, il a commencé à multiplier les signes d’indépendance et les prises de position iconoclastes, voire en franche contradiction avec l’exécutif.

Depuis l’annonce en avril de la création de son mouvement, En Marche !, la position du jeune ministre devenait de plus en plus délicate vis-à-vis du couple exécutif. Quelques éléments de portrait de cet ovni en politique devenu un fantasme pour beaucoup de personnalités politiques et du monde des affaires.

Relire notre enquête de novembre sur le ministre : Le fantasme Macron
  • A 16 ans, l’exil parisien

A 16 ans, élève de première, lauréat du concours général de français, il est tombé amoureux de sa professeure, Brigitte Trogneux, mère de trois enfants et de vingt ans son aînée. Toute la France connaît aujourd’hui la romance qui plaît tant à l’électorat féminin. On sait moins qu’Emmanuel a dû quitter la maison familiale et s’exiler à Paris, protégé par sa grand-mère Germaine, une ancienne principale de collège. Elle lui trouve un toit dans la capitale pour sa terminale au lycée Henri-IV. Tous deux médecins, les parents d’Emmanuel Macron ont voulu éloigner leur fils de ce qu’ils tiennent pour la promesse d’un malheur certain. « Une blessure, pour cet être si sensible, si social, si solaire », raconte Aurélien Lechevallier, conseiller diplomatique d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris. Il fut l’un de ses premiers amis parisiens et celui qui l’entraîna en prép’ENA.

  • « Le banquier de chez Rothschild »

Macron est entré au bas de l’échelle, mais il est rapidement promu associé gérant et conclut, en 2012, un deal à 9 milliards d’euros entre Nestlé et Pfizer qui restera dans les annales de Rothschild. Avec son sens de la psychologie et un brio certain, le trentenaire a vampé le sexagénaire Peter Brabeck, président de Nestlé, qui ne jure plus que par lui. « Au moins j’ai fait un métier », plaide-t-il, alors que le Front de gauche oublie son nom pour l’appeler « le banquier de chez Rothschild ». « J’ai appris la vie des affaires, le commerce, c’est tout un art. J’y ai découvert l’international, et un savoir-faire financier qui me sert aujourd’hui. » Il y gagne aussi 2 millions d’euros.

  • « La force des évidences »

Lorsque le président lui a proposé le ministère de l’économie, il était en train de faire du vélo au Touquet. « J’ai demandé une heure de réflexion. Je voulais être sûr d’être libre et de pouvoir agir. Il sait que je ne suis pas un homme de conflit, mais que je peux partir. » Les intimes qui connaissent son exil parisien, à 16 ans, ont compris qu’il n’avait pas peur de l’autorité ; en 2007, ce sont ses parents qui ont rendu les armes pour écouter, conquis et émus, le discours de marié de leur fils sur « la force des évidences ».

  • Un ovni en politique

« Il est arrivé à Bercy sans jamais avoir fait de politique », persiflent ses ennemis. Il hérisse l’aile la plus frondeuse du Parti socialiste. « J’en ai entendu, dans les porte-à-porte, des gens qui disaient : “si vous ne nous défendez pas contre le travail du dimanche, on votera FN”, souligne la députée des Hautes-Alpes Karine Berger. Au bureau national du PS, les élus se plaignent : “il nous fait perdre les élections.” » On lui reproche de ne jamais se soucier du calendrier électoral, lui qui n’a ni attache municipale ni législative.

Le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a aussi trouvé sa formule pour cet ovni en politique. Macron ? « Une start-up », avec sa mobilité et ses échéances à court terme. « Il incarne la gauche post-historique, pro-business et sociétale. »

  • Un « collabo » pour la droite

La droite a vu le danger qu’il représente. Quelques mois après la nomination de Macron à Bercy, Nicolas Sarkozy demandait ironiquement au ministre de « rejoindre » Les Républicains. Depuis, l’ex-président du parti a donné d’autres éléments de langage à ses troupes : « Macron, cet humoriste qui nous sert de ministre ! » Le banquier Philippe Villin est devenu son plus féroce adversaire depuis que Le Figaro, dont il fut le vice-président, défend le ministre de l’économie contre les frondeurs du PS. Un jour, il écrit un SMS assassin au patron de la rédaction du quotidien, Alexis Brézet, et l’envoie par erreur… à Macron. « Absurde de faire de Macron une victime ! S’il est libéral, il n’avait rien à faire chez les socialistes. C’est juste un collabo. On le fusillera politiquement à la Libération en mai 2017 ! » « Bien reçu », a répondu laconiquement le ministre.

  • Positions provocatrices et agacement du premier ministre

Il a traduit son ambition de « déverrouiller » l’économie et le marché du travail dans sa loi « pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques », un texte fourre-tout qui va de l’extension du travail du dimanche à la libéralisation du transport en autocars. La réforme aussitôt adoptée, via un triple recours au 49.3, Macron s’est attelé à un nouveau projet de loi, sur les « nouvelles opportunités économiques », finalement refondu dans d’autres textes portés par ses collègues. Car entre-temps, les positions du ministre, qui prône une approche libérale de l’économie, en ont agacé plus d’un, à commencer par le premier ministre Manuel Valls.

Tout au long de son passage à Bercy, Macron qui, durant son passage chez Rothschild, a piloté le rachat par Nestlé d’une filiale de l’américain Pfizer n’hésite pas à heurter la gauche avec des positions provocatrices. Le ministre, qui n’est pas membre du PS, distille en effet à sa manière sa remise en cause des 35 heures, du statut des fonctionnaires, du principe d’un mandat électif en politique, sans jamais se priver de critiquer, plus ou moins discrètement, certains choix du couple exécutif. Ce qui lui vaut d’être régulièrement rappelé à l’ordre. Lui qui a été assistant du philosophe Paul Ricœur au tournant des années 2000 avait dû s’excuser pour avoir déclaré que « beaucoup » d’ouvrières réduites au chômage par la fermeture des abattoirs bretons Gad étaient « illettrées ».