Pepe la grenouille, un des mèmes préférés de l’Alt-Right, en compagnie de Hillary Clinton, ennemie déclarée du mouvement. | Capture d'écran

Le premier est une nébuleuse de joueurs de jeux vidéo aux idées violemment antiféministes, accusés de mener des campagnes de harcèlement en ligne. Le second est un courant politique prônant le nationalisme blanc et la séparation des races, et qui a trouvé un important écho sur les forums anglophones les moins modérés. Depuis la fin août, le GamerGate et l’« Alt-Right », deux des communautés les plus sulfureuses d’Internet, sont publiquement associées alors que la campagne pour l’élection présidentielle américaine bat son plein.

Tout est parti, le 17 août, de la nomination au poste de directeur de campagne de Donald Trump de Stephen Bannon, cofondateur du site Breitbart, proche de l’Alt-Right. Le 24 août, Hillary Clinton monte au créneau pour dénoncer l’entourage de son adversaire, « une frange de paranoïaques ». « Dites-moi avec qui vous marchez, je vous dirai qui vous êtes. Nous savons qui est Trump », épingle-t-elle. Le lendemain, Brianna Wu, développeuse de jeu vidéo aussi connue pour ses prises de position féministes que pour son opposition au GamerGate, associe publiquement les deux.

« Clinton définit l’Alt-Right telle qu’elle est : un groupe haineux marginal et extrémiste. L’Alt-Right inclut le GamerGate. C’est un groupe haineux constitué d’hommes blancs énervés de moins de 40 ans. Ils sont plus à l’aise sur [les forums] 4chan et KotakuInAction qu’à l’église. Certains d’entre eux haïssent les musulmans et les Noirs. Les gens du GamerGate haïssent les femmes. Ils sont violemment opposés au multiculturalisme. »

Deux mouvements bien distincts

Ce rapprochement, les sympathisants du GamerGate le contestent. Ils sont nombreux à y voir une nouvelle manière de diaboliser leur mouvement, à l’image de l’un des rédacteurs du site Nichegamer :

« C’est quoi le p***** de rapport entre l’Alt-Right et le GamerGate ? Le GG penche bien plus à gauche qu’à droite. »

Sur le papier, l’Alt-Right et le GamerGate sont deux mouvements bien distincts. Si le premier date de la fin des années 2000, il puise son idéologie dans divers mouvements réactionnaires comme le Tea Party, le suprémacisme blanc, de la Nouvelle Droite française, courant d’extrème droite des années 1970, et s’appuie sur une nouvelle génération ultracontestataire, née de l’ébullition de forums peu ou pas modérés comme 8chan. Elle revendique la défense d’une identité culturelle blanche américaine qui serait en danger.

De son côté, le GamerGate est né sur Twitter, Reddit et 4chan à l’été 2014, en réaction aux accusations de misogynie portées par les médias spécialisés, suite au harcèlement d’une développeuse de jeux indépendante. Officiellement apolitique, il se nourrit de l’histoire d’un secteur, celle du jeu vidéo, marquée depuis le début des années 2010 par une succession de scandales liés à la représentation des femmes et la déontologie à géométrie variable de la presse spécialisée, pour prôner le retour à un jeu vidéo épuré de toute ambition politique et à une presse « plus éthique ».

Nombreuses caractéristiques communes

Quels sont les points d’achoppement et les désaccords entre les deux mouvances ? Difficile de répondre, tant la galaxie du GamerGate est hétéroclite et rejette par principe toute soumission à un porte-parole. Cela n’empêche pas ses sympathisants d’en discuter.

Sur le forum KotakuInAction, l’un deux, sous le pseudonyme de Mnemosyne, énumère ainsi les points de convergence et de divergence entre l’Alt-Right, telle que définie par un article du Guardian du 25 août, et sa propre vision du monde. Il récuse tout penchant pour le suprémacisme blanc, sympathie pour Vladimir Poutine, le transhumanisme, Dieu, ainsi que tout rejet de principe de l’égalitarisme, du libéralisme et de Hillary Clinton, autant de caractéristiques de l’Alt-Right.

Cela n’empêche pas le mouvement en ligne de se retrouver dans de nombreuses caractéristiques de l’Alt-Right, comme le goût du « lol » (l’humour pour l’humour), mais aussi la haine du féminisme, du mouvement antiraciste Black Lives Matter, du politiquement correct (et donc du film Ghostbusters, devenu emblématique de cette tension), ainsi que l’aversion pour l’islam, et le dédain pour les médias et l’université.

Milo Yiannopoulos, personnalité centrale

De fait, en dehors du plan des idées, les liens entre les deux mouvements existent bel et bien. Liens de proximité, d’abord : #GamerGate et #AltRight sont par exemple deux sections d’un même forum, 8chan, et si rien n’indique que les participants de l’un se retrouvent également sur l’autre, ils partagent au moins l’esprit du site. Né en 2014 de la cuisse du célèbre forum à images 4chan, souvent surnommé le « trou du cul du Web », 8chan en reprend l’esprit anarchiste, l’humour sarcastique, et la haine viscérale du « politiquement correct ».

« L’Alt-Right est un mouvement né des bords jeunes, subversifs et underground de l’Internet, se gargarise l’un des sites phares du mouvement, Breitbart. 4chan et 8chan sont des hubs de l’activité Alt-Right. Pendant des années, les membres de ces forums – politiques et non-politiques – ont régalé grâce à des farces juvéniles qui attirent l’attention. Bien avant l’Alt-Right, les 4channers ont transformé la provocation des médias nationaux en spécialité. »

Les joueurs de jeux vidéo libertariens ont également côtoyé suprémacistes, masculinistes ou encore partisans d’un Etat minimal, dans une pelote de laine intellectuelle difficile à démêler. Dès l’été 2015, des partisans du GamerGate se sont rencontrés à Paris à l’initiative de trois polémistes proches de l’extrême droite sur l’échiquier américain, et à la volonté de récupération appuyée.

« Nous sommes les premiers depuis des décennies à nous opposer aux Social Justice Warriors [terme péjoratif décrivant les militants féministes et LGBT]. Je suis de droite, vous êtes peut-être de gauche, mais nous nous battons ensemble. Vous n’êtes pas seuls », avait déclamé ce jour-là l’un des co-organisateurs, l’écrivain de science-fiction suprémaciste Theodore Beale, dit Vox Day, devant un public très partagé.

Parmi les co-organisateurs, une personnalité devenue centrale : Milo Yiannopoulos. Ancien journaliste dans les nouvelles technologies, reconverti en contributeur chez Breitbart, il s’est intronisé en 2014 défenseur des « joueurs opprimés par les féministes ». Un an plus tard, il flatte le GamerGate, évoquant « le soulèvement en ligne remarquable contre le journalisme immonde et des militants progressistes délirants dans le monde du jeu vidéo ».

Il se fait désormais l’un des avocats de l’Alt-Right, dont il a récemment cosigné une longue présentation, qui inclut plusieurs références aux joueurs de jeux vidéo et aux internautes issus de la culture ultra-permissive de 4chan.

Méthodes de guérilla en ligne

Personnage magnétique, Milo Yiannopoulos est aujourd’hui suivi par une horde de fans férocement antisystèmes et provocateurs, et nés de la même culture que le GamerGate.

Et si aujourd’hui, les sympathisants du GamerGate refusent de cautionner toutes les méthodes de l’Alt-Right, ils revendiquent parfois volontiers une filiation, sinon dans les idées, au moins dans les méthodes de guérilla en ligne et de détournements parodiques.

« Monsieur lol arrive. Votre technique du mème-fu est obsolète, vielle dame ! Le mème-jitsu d’Alt-Right est fort ! (Nous avons appris du GamerGate) »

Depuis juillet, l’actrice noire Leslie Jones est la cible de la part des suiveurs de l’Alt-Right d’une violente campagne de harcèlement en ligne, qui rappelle celles dont avaient été victimes plusieurs militantes progressistes dans les premières heures du GamerGate. Surfant sur une ligne ambiguë, les forums proches du GamerGate se désolidarisent « des trolls racistes », condamnent les insultes envers Leslie Jones ainsi que le piratage de photos intimes. Sans toutefois s’empêcher de critiquer l’actrice, tour à tour pour sa naïveté, sa position victimaire, ou tout simplement, son militantisme antiraciste.